Brûlées
vives, noyées, torturées..Quand les femmes étaient des sorcières
et les catins du Démon.et quand Shakespeare était seul à les défendre
Représentation d'un bûcher à Derenburg en 1555 |
C'est
l'une des pages les plus sombres de l ' Histoire de L' Europe et
elle ne se déroule pas au cœur des supposés ténèbres du Moyen
âge, mais en pleine Renaissance et dans ce Siècle que par un abus
de langage, on a appelé le Grand Siècle.Chacun y prit sa part, la
Sainte Église apostolique et romaine, mais aussi Luther et Calvin,
les monarques et les Princes, mais aussi la bourgeoisie naissante qui
faisait ses débuts dans sa longue carrière de crimes
Philosophes
et humanistes, pas une voix ne se leva, si ce n'est pour se joindre
au chœur de ceux qui appelaient au meurtre...à l'exception d'un
seul, mais lui était le plus grand, William Shakespeare, nous en
reparlerons..
Dans
toute l'Europe et un peu plus dans le royaume de France et le monde
germanique, on dressa des bûchers et on jeta dans les flammes, des
femmes, des jeunes filles, parfois encore dans l'enfance.
Des
tortures atroces et innommables leur furent infligées et il se
trouvait toujours des témoins pour dire les avoir vues ,
chevauchant des balais ou s'accouplant avec des démons.
Une
longue période de terreur, presque exclusivement dirigée contre les
femmes et menée par des furieux, des fanatiques et pas mal de
salauds.
L'inspiration
venait de loin et embrassait bien des courants aux motivations
sordides ou proches de la démence.
D'abord,
cette haine du christianisme contre les femmes, contre la sexualité,
contre toute manifestation du désir qu'ont les êtres de s'accoupler
et du plaisir qu'ils peuvent y prendre. Nos bons pères et nos
Apôtres n'y voyaient que crime et lubricité, œuvre du démon, la
beauté elle même était suspecte et pouvait vous mener au
supplice, faire tourner les têtes et chavirer les cœurs et les
sens était une preuve suffisante que vous étiez la fiancée du
Démon.
Mais
la haine des prêtres n'aurait pu suffire à justifier toutes ces
abominations infligées à des malheureuses, il faut toujours
chercher dans le crime sa source première qui fut ici le plus
sordide intérêt, comme il le fut dans ce même temps pour
l'extermination des Indiens de l'Amérique et des Noirs de l'Afrique.
Un
monde basculait, le vieux monde médiéval et dans les villes et les
campagnes, il ne suffisait pas d'accumuler son or ou d’accroître
ses terres, mais il fallait s'assurer le contrôle du ventre des
femmes, dépositaire de sa succession, il fallait s'assurer de la
légitimité de sa descendance, être certain qu'un solide gaillard
ne soit pas venu, quand vous étiez au champ ou à la boutique,
trousser les jupons de la belle.
L'
Église avait aussi une rancune qu'elle avait gardé et un compte
qu'elle devait régler avec ce monde paysan qui lui tenait tête
depuis des siècles, avec ses vieilles croyances aux esprits et aux
fées, son imaginaire peuplé de superstitions et de croyances
Le
vieux monde païen avait survécu à des siècles de persécutions et
les dieux oubliés des grecs et des romains menaient encore une joyeuse
sarabande
Nos
bons paysans étaient parvenus à un compromis raisonnable entre une
dévotion sincère à la Vierge trônant dans leur Église et la joie
de conter fleurette dans les foins ou sous les bosquets.
Les
femmes étaient aussi un peu sorcières, guérisseuses et
accoucheuses, elles connaissaient bien des secrets, celui des plantes
qui guérissent, de la formule magique qui protège..
C'est
tout cela qu'il fallait briser, c'est ce monde qu'il fallait faire
disparaître et contre lequel le prêtre, le noble et le bourgeois
déchaînèrent une horrible guerre.
les sorcières de Macbeth |
Au
milieu de cette horreur, une voix s’éleva, celle de Shakespeare,
il ne signa aucun manifeste, n'éleva aucune protestation ,mais il
fit le plus utile et ce qu'il savait faire le mieux. Ce monde
condamné, il lui donna toute sa place dans ses pièces, toutes
entières peuplées de fées, de lutins et de sorcières.
Les
critiques n'ont pas assez insisté sur le fait fondamental que le
merveilleux shakespearien était un merveilleux totalement et
exclusivement païen.
Les
Français, du haut de leur suffisance, ont toujours jugé avec
mépris le théâtre shakespearien que le grand Voltaire, qui rata
ici une occasion de se taire, jugeait ordurier et plein
d'immondices.
Ce
que ne comprenaient pas les admirateurs de Racine et Corneille et ce
qu'ils condamnaient, c'était l'exubérance joyeuse, la vitalité
d'un monde plein de bruits et de fureur, mais aussi de jurons et de
malédictions , de paroles folles ou inspirées, de visions
effrayantes et d'instants sublimes, en un mot, tout ce qui manque à
nos Classiques, si raides dans leurs convenances qu'ils semblent
semblent avoir écrit avec un bâton planté dans le cul.
La
femme shakespearienne a aussi un statut bien plus convenable que nos
pauvres gourdes de Chimène ou Bérénice, c'est Lady Macbeth qui
soutient le courage chancelant de son mari, elle qui ne tremble pas
devant le crime et dans les comédies, comme 'Beaucoup de bruit pour
rien'Béatrice tient tête à Bénédict dans une savoureuse joute
amoureuse
c'est la reine Mab qui t'a rendue visite ... |
Le
monde de Shakespeare est peuplé de femmes libres et souvent fortes
et surtout ses personnages échappent à l'enfermement moral du monde
chrétien.
Dans
la plus émouvante de ses pièces, c'est un amour réciproque qui lie
Juliette et Roméo, un amour qui se nourrit de doux mots, mais aussi
d' étreintes et de baisers, de désir amoureux , de la joie de
contempler un visage aimé ou d'unir ses lèvres à celle de l'être
aimé et tout cela dans une innocence purement païenne
Roméo
et Juliette sont 2 fois coupables, coupables de s'aimer avec tant de
force et coupables de bousculer le vieil ordre patriarcal, celui du
mariage imposé que Juliette refuse et celui de l'allégeance au
clan, au sang , allégeance qui dresse l'une contre l'autre les
2 familles
Finissons
donc cette chronique dédiée aux femmes par cet hommage à
Shakespeare et à ces 2 amants qui pour toujours et à travers les
siècles seront le symbole du triomphe de l'amour contre toutes les
vieilles malédictions et les imprécations d'un Dieu farouche qui
dans toute sa méchanceté ne triomphera jamais de la gloire
d'Aphrodite
Dès
que les jours nous offrent le doux aspect du printemps, dès que le
zéphyr captif recouvre son haleine féconde, le chant des oiseaux
que tes feux agitent annonce d'abord ta présence, puis, les
troupeaux enflammés bondissent dans les gras pâturages et
traversent les fleuves rapides tant les êtres vivants, épris de tes
charmes et saisis de ton attrait, aiment à te suivre partout où tu
les entraînes! Enfin, dans les mers, sur les montagnes, au fond des
torrents, et dans les demeures touffues des oiseaux, et dans les
vertes campagnes, [1,20] ta douce flamme pénètre tous les cœurs,
et fait que toutes les races brûlent de se perpétuer. Ainsi donc,
puisque toi seule gouvernes la nature, puisque, sans toi rien ne
jaillit au séjour de la lumière, rien n'est beau ni aimable, sois
la compagne de mes veilles, et dicte-moi ce poème que je tente sur
la Nature, pour instruire notre cher Memmius. Tu as voulu que, paré
de mille dons, il brillât toujours en toutes choses: aussi, déesse,
faut-il couronner mes vers de grâces immortelles.
Lucrèce,
De la nature des choses, Livre I Hymne à Vénus
« ...
on lui a brûlé des plumes soufrées sous les bras et autour du
cou.... On l'a montée au plafond par les mains liées derrière le
dos... Cela a duré trois ou quatre heures. On l'a laissé pendu
là-haut et le maître des tortures est allé prendre son déjeuner.
Et quand il est revenu, il lui a versé de l'eau-de-vie sur le dos et
a allumé. Il lui a passé des poids et l'a remontée. Après cela,
on lui a mis une planche non rabotée pleine d'échardes sur le dos
et on l'a remonté au plafond par les mains. Ensuite, on lui a vissé
les deux gros orteils et les deux pouces. On lui a mis un bâton en
travers des bras, on l'a pendue ainsi et on l'a laissé environ un
quart d'heure. Elle est passée d'un évanouissement à l'autre. On
lui vissa les jambes à la hauteur du mollet A la troisième torture
cela s'est passé plus durement, puisqu'elle a été battue avec des
fouets de cuir sur les lombes, si bien que le sang a transpercé la
chemise. On l'a remonté, on lui a de nouveau vissé les pouces et
les gros orteils, puis on l'a laissé assise sur la sellette, tandis
que le bourreau et les autres membres du tribunal sont allés
déjeuner vers dix heures et jusqu'à environ une heure après
midi. »
Des liens utiles
Et
l'hommage de Victor Hugo à Shakespeare
L’autre,
Shakespeare, qu’est-ce ? On pourrait presque répondre :
c’est la Terre. Lucrèce est la sphère, Shakespeare est le globe.
Il y a plus et moins dans le globe que dans la sphère. Dans la
sphère il y a le Tout ; sur le globe il y a l’homme. Ici le
mystère extérieur ; là, le mystère intérieur. Lucrèce,
c’est l’être ; Shakespeare, c’est l’existence. De là
tant d’ombre dans Lucrèce ; de là tant de fourmillement dans
Shakespeare. L’espace, le bleu, comme disent les allemands, n’est
certes pas interdit à Shakespeare. La terre voit et parcourt le
ciel ; elle le connaît sous ses deux aspects, obscurité et
azur, doute et espérance. La vie va et vient dans la mort. Toute la
vie est un secret, une sorte de parenthèse énigmatique entre la
naissance et l’agonie, entre l’œil qui s’ouvre et l’œil qui
se ferme. Ce secret, Shakespeare en a l’inquiétude. Lucrèce est ;
Shakespeare vit. Dans Shakespeare, les oiseaux chantent, les buissons
verdissent, les cœurs aiment, les âmes souffrent, le nuage erre, il
fait chaud, il fait froid, la nuit tombe, le temps passe, les forêts
et les foules parlent, le vaste songe éternel flotte. La sève et le
sang, toutes les formes du fait multiple, les actions et les idées,
l’homme et l’humanité, les vivants et la vie, les solitudes, les
villes, les religions, les diamants, les perles, les fumiers, les
charniers, le flux et le reflux des êtres, le pas des allants et
venants, tout cela est sur Shakespeare et dans Shakespeare, et, ce
génie étant la terre, les morts en sortent. Certains côtés
sinistres de Shakespeare sont hantés par les spectres. Shakespeare
est frère de Dante. L’un complète l’autre. Dante incarne tout
le surnaturalisme, Shakespeare incarne toute la nature ; et
comme ces deux régions, nature et surnaturalisme, qui nous
apparaissent si diverses, sont dans l’absolu la même unité, Dante
et Shakespeare, si dissemblables pourtant, se mêlent par les bords
et adhèrent par le fond ; il y a de l’homme dans Alighieri,
et du fantôme dans Shakespeare. La tête de mort passe des mains de
Dante dans les mains de Shakespeare ; Ugolin la ronge, Hamlet la
questionne. Peut-être même dégage-t-elle un sens plus profond et
un plus haut enseignement dans le second que dans le premier.
Shakespeare la secoue et en fait tomber des étoiles. L’île de
Prospero, la forêt des Ardennes, la bruyère d’Armuyr, la
plate-forme d’Elseneur, ne sont pas moins éclairées que les sept
cercles de la spirale dantesque par la sombre réverbération des
hypothèses. Le que sais-je ? demi-chimère, demi-vérité,
s’ébauche là comme ici. Shakespeare autant que Dante laisse
entrevoir l’horizon crépusculaire de la conjecture. Dans l’un
comme dans l’autre il y a le possible, cette fenêtre du rêve
ouverte sur le réel. Quant au réel, nous y insistons, Sheakespeare
en déborde ; partout la chair vive ; Shakespeare a
l’émotion, l’instinct, le cri vrai, l’accent juste, toute la
multitude humaine avec sa rumeur. Sa poésie, c’est lui, et en même
temps, c’est vous. Comme Homère, Shakespeare est élément. Les
génies recommençants, c’est le nom qui leur convient, surgissent
à toutes les crises décisives de l’humanité ; ils résument
les phases et complètent les révolutions. Homère marque en
civilisation la fin de l’Asie et le commencement de l’Europe ;
Shakespeare marque la fin du moyen âge. Cette clôture du moyen âge,
Rabelais et Cervantes la font aussi ; mais, étant uniquement
railleurs, ils ne donnent qu’un aspect partiel ; l’esprit de
Shakespeare est un total. Comme Homère, Shakespeare est un homme
cyclique. Ces deux génies, Homère et Shakespeare, ferment les deux
premières portes de la barbarie, la porte antique et la porte
gothique. C’était là leur mission, ils l’ont accomplie ;
c’était là leur tâche, Ss l’ont faite. La troisième grande
crise humaine est la Révolution française ; c’est la
troisième porte énorme de la barbarie, la porte monarchique, qui se
ferme en ce moment. Le dix-neuvième siècle l’entend rouler sur
ses gonds. De là, pour la poésie, le drame et l’art, l’ère
actuelle, aussi indépendante de Shakespeare que d’Homère.
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