Quand
Lénine est affublé d'un gilet jaune
Quand un mouvement social reçoit le
soutien de forces politiques situées aux extrèmes opposés du
spectre politique, nous devons bien admettre que nous nous trouvons
devant un phénomène nouveau et inédit qui pour le moins mérite
une discussion.
Les points de vue et les arguments des
uns et des autres étant supposés connus et largement exposés nous
n'y reviendrons pas et faisons le choix d'exposer simplement les
faits ne souffrant aucune contestation.
En admettant que les uns et les autres,
quel que soit leur point de vue, ne sont pas des idiots de village,
nous laisserons chacun libre d'en tirer les conclusions qu'il
souhaite
Le premier de ces faits, le plus
surprenant, est la diversité politique de ceux qui affirment
soutenir ce mouvement. Il me semble que c'est la première fois dans
l'histoire de ce pays qu’un mouvement social reçoit le soutien et
les encouragements de formations politiques aussi différentes que le
NPA, la France insoumise, le Rassemblement national, Debout la France
et quelques autres
Le second fait frappant est la
diversité et la confusion des revendications exprimées et dans ce
domaine les convergences sont aussi surprenantes que les
contradictions. Ainsi en est- il de mots d'ordre comme 'le pouvoir au
peuple'entendu dans les rangs de la FI ou du RN et dont la
formulation sans aucun contenu de classe laisse à chacun le soin de
lui donner le sens qu'il souhaite. Plus surprenant encore,
l'expression d'une véritable colère contre la misère sociale qui
reçoit en écho l'expression de véritables revendications
patronales comme la baisse des impôts et des cotisations sociales,
cotisations sur lesquelles repose le financement de la Sécurité
sociale.Remarquons que si les organisations patronales et les forces
de droite expriment sans ambiguïté leur programme c'est à gauche
que l'on évite soigneusement les mots d'ordre qui pourraient rompre
cette unité, à commencer par la simple demande de l'augmentation
générale des salaires et des pensions ou l'abrogation de la CSG .
Un autre fait qui mérite débat est le
choix de symboles identiques par des forces politiques que l'on
suppose radicalement opposés. Le seul drapeau que l'on ait vu
flotter est le drapeau tricolore et le seul chant entonné était la
Marseillaise, toute présence et toute manifestation ayant un rapport
avec le mouvement ouvrier et son histoire ou son identité étaient
rigoureusement proscrits et cette proscription a été respectée par
tous. Aucun drapeau rouge n'a été vu, aucune Internationale n'a été
entendu et cela dans l'ensemble des cortèges ou des points de
blocage.
Une simple remarque sur le fait que
cette 'unité s'est faite autour de symboles qui dans notre histoire
ont toujours été, quand ils étaient brandis dans les
manifestations étaient ceux de la droite, de la bourgeoisie.
Traditionnellement, une manifestation ouvrière ou de gauche se
déroulait avec des drapeaux rouges et se concluait au chant de
l'Internationale. Inversement , quand De Gaulle remontait les Champs
Elysées le 13 Mai 1968 ou quand le FN ou d'autres forces de droite
prenaient la rue, elles le faisaient sous une forêt de drapeaux
tricolores et au chant de la Marseillaise
Des symboles ne sont que des symboles,
mais ils sont aussi un peu plus, ils sont la reconnaissance qui n'est
pas que symbolique qu'en dehors du fait que nous soyons tous des gens
ou des citoyens, il existe dans la société des oppositions de
classe et que dans une démocratie ces oppositions doivent pouvoir
s'exprimer au grand jour.
En conclusion, un simple fait
anecdotique et révélateur, le brusque engouement pour Lénine qui a
saisit jusqu'aux jusqu'aux virulents partisans de la fachosphère.
Une citation datant de 1916, toujours la même et dont l’occurrence
pose problème.
Le premier problème est le soin
minutieux mis par tous pour occulter le contexte historique et le
sens d' un texte qui était un texte de soutien à l'insurrection
irlandaise, un texte où Lénine pourfendait ceux qui refusaient de
soutenir les revendications nationales et le droit à l'indépendance
des petites nations
Nous pouvons comprendre la gène de
ceux qui ont condamné la République catalane et apportent leur
soutien à la monarchie, nous pouvons comprendre aussi que cette gène
puisse les amener à tronquer et falsifier une citation de Lénine
qui en a vu d'autres et de bien pires.
Le second problème étant que
l'allusion de Lénine au caractère' de toute révolution soit
utilisée pour justifier cette alliance improbable qui a porté les
gilets jaunes sur les fonts baptismaux. Il ne me semble pas trouver
aucune trace du moindre texte de Lénine justifiant de dissoudre le
mouvement ouvrier, de renoncer à son organisation ou à son
programme pour une alliance avec la bourgeoisie et ses partis. Il me
semble bien au contraire que toute sa politique visait à rassembler
les masses opprimées derrière le prolétariat et ceci même quand
il prenait à son compte des mots d'ordre démocratiques
Chacun est libre de penser que le
programme de Lénine est dépassé, périmé, ringardisé, qu'il doit
être dissout au sein d'un mouvement plus gazeux, mais tronquer le
sens d'une citation ne relève pas de cette liberté mais 'une pure
falsification
proclamation du gouvernement provisoire de la République d'Irlande |
l'insurrection irlandaise de 1916 |
Annexe
Bilan d'une discussion sur le droit des nations à disposer d'elles-mêmes
Les opinions des adversaires de l'autodétermination aboutissent à cette conclusion que la viabilité des petites nations opprimées par l'impérialisme est d'ores et déjà épuisée, qu'elles ne peuvent jouer aucun rôle contre l'impérialisme, qu'on n'aboutirait à rien en soutenant leurs aspirations purement nationales, etc. L'expérience de la guerre impérialiste de 1914-1916 dément concrètement ce genre de conclusions.
La guerre a été une époque de crise pour les nations d'Europe occidentale et pour tout l'impérialisme. Toute crise rejette ce qui est conventionnel, arrache les voiles extérieurs, balaie ce qui a fait son temps, met à nu des forces et des ressorts plus profonds. Qu'a-t-elle révélé du point de vue du mouvement des nations opprimées ? Dans les colonies, plusieurs tentatives d’insurrection que les nations oppressives se sont évidemment efforcées, avec l'aide de la censure de guerre, de camoufler par tous les moyens. On sait, néanmoins, que les anglais ont sauvagement écrasé à Singapour une mutinerie de leurs troupes hindoues; qu il y a eu des tentatives d'insurrection dans l'Annam français (voir Naché Slovo) et au Cameroun allemand (voir la brochure de Junius [1] ); qu'en Europe, il y a eu une insurrection en Irlande, et que les Anglais "épris de liberté", qui n'avaient pas osé étendre aux irlandais le service militaire obligatoire, y ont rétabli la paix par des exécutions; et que, d’autre part, le gouvernement autrichien a condamné à mort les députés de la Diète tchèque "pour trahison" et fait passer par les armes, pour le même "crime", des régiments tchèques entiers.
Cette liste est naturellement bien loin d'être complète, tant s'en faut. Elle démontre néanmoins que des foyers d'insurrections nationales, surgies en liaison avec la crise de l'impérialisme, se sont allumés à la fois dans les colonies et en Europe; que les sympathies et les antipathies nationales se sont exprimées en dépit des menaces et des mesures de répression draconiennes. Et pourtant, la crise de l'impérialisme était encore loin d'avoir atteint son point culminant : la puissance de la bourgeoisie impérialiste n'était pas encore ébranlée (la guerre "d'usure" peut aboutir à ce résultat, mais on n'en est pas encore là); les mouvements prolétariens au sein des puissances impérialistes sont encore très faibles. Qu'arrivera-t-il lorsque la guerre aura provoqué un épuisement complet ou bien lorsque, au moins dans l'une des puissances, le pouvoir de la bourgeoisie chancellera sous les coups de la lutte prolétarienne, comme le pouvoir du tsarisme en 1905 ?
Le journal Berner Tagwacht, organe des zimmerwaldiens, jusques et y compris certains éléments de gauche, a publié le 9 mai 1916 un article consacré au soulèvement irlandais, signé des initiales K.R. et intitulé "Finie, la chanson !" L'insurrection irlandaise y était qualifiée de "putsch", ni plus ni moins, car la "question irlandaise", y disait-on, était une "question agraire", les paysans avaient été apaisés par des réformes, et le mouvement national n'était plus maintenant "qu'un mouvement purement urbain, petit-bourgeois, et qui, en dépit de tout son tapage, ne représentait pas grand-chose "au point de vue social".
Il n'est pas étonnant que cette appréciation d'un doctrinarisme et d'un pédantisme monstrueux ait coïncidé avec celle d'un national-libéral russe, un cadet, monsieur A. Koulicher (Retch, n° 102 du 15 avril 1916), qui a qualifié lui aussi l'insurrection de "putsch de Dublin".
Il est permis d’espérer que, conformément au proverbe "A quelque chose malheur est bon", beaucoup de camarades qui ne comprenaient pas dans quel marais ils s'enlisaient en s'opposant à l'"autodétermination" et en considérant avec dédain les mouvements nationaux des petites nations, auront leurs yeux dessillés sous l'effet de cette coïncidence "fortuite" entre l'appréciation d'un représentant de la bourgeoisie impérialiste et celle d'un social-démocrate' !!
On ne peut parler de "putsch", au sens scientifique du terme, que lorsque la tentative d'insurrection n'a rien révélé d'autre qu'un cercle de conspirateurs ou d'absurdes maniaques, et qu'elle n'a trouvé aucun écho dans les masses. Le mouvement national irlandais, qui a derrière lui des siècles d'existence, qui est passé par différentes étapes et combinaisons d'intérêts de classe, s'est traduit, notamment, par un congrès national irlandais de masse, tenu en Amérique (Vorwärts du 20 mars 1916), lequel s'est prononcé en faveur de l'indépendance de l'Irlande; il s'est traduit par des batailles de rue auxquelles prirent part une partie de la petite bourgeoisie des villes,ainsi q'une partie des ouvriers, après un long effort de propagande au sein des masses, après des manifestations, des interdictions de journaux, etc. Quiconque qualifie de putsch pareille insurrection est, ou bien le pire des réactionnaires, ou bien un doctrinaire absolument incapable de se représenter la révolution sociale comme un phénomène vivant.
Croire que la révolution sociale soit concevable sans insurrections des petites nations dans les colonies et en Europe, sans explosions révolutionnaires d’une partie de la petite bourgeoisie avec tous ses préjugés, sans mouvement des masses prolétariennes et semi-prolétariennes politiquement inconscientes contre le joug seigneurial, clérical, monarchique, national, etc., c'est répudier la révolution sociale. C'est s'imaginer qu'une armée prendra position en un lieu donné et dira "Nous sommes pour le socialisme", et qu'une autre, en un autre lieu, dira "Nous sommes pour l'impérialisme", et que ce sera alors la révolution sociale ! C'est seulement en procédant de ce point de vue pédantesque et ridicule qu'on pouvait qualifier injurieusement de "putsch" l'insurrection irlandaise.
Quiconque attend une révolution sociale "pure" ne vivra jamais assez longtemps pour la voir. Il n'est qu'un révolutionnaire en paroles qui ne comprend rien à ce qu'est une véritable révolution.
La révolution russe de 1905 a été une révolution démocratique bourgeoise. Elle a consisté en une série de batailles livrées par toutes les classes, groupes et éléments mécontents de la population. Parmi eux, il y avait des masses aux préjugés les plus barbares, luttant pour les objectifs les plus vagues et les plus fantastiques, il y avait des groupuscules qui recevaient de l'argent japonais, il y avait des spéculateurs et des aventuriers, etc. Objectivement, le mouvement des masses ébranlait le tsarisme et frayait la voie à la démocratie, et c'est pourquoi les ouvriers conscients étaient à sa tête.
La révolution socialiste en Europe ne peut pas être autre chose que l'explosion de la lutte de masse des opprimés et mécontents de toute espèce. Des éléments de la petite bourgeoisie et des ouvriers arriérés y participeront inévitablement - sans cette participation, la lutte de masse n'est pas possible, aucune révolution n'est possible - et, tout aussi inévitablement, ils apporteront au mouvement leurs préjugés, leurs fantaisies réactionnaires, leurs faiblesses et leurs erreurs. Mais, objectivement, ils s'attaqueront au capital, et l'avant-garde consciente de la révolution, le prolétariat avancé, qui exprimera cette vérité objective d'une lutte de masse disparate, discordante, bigarrée, à première vue sans unité, pourra l'unir et l'orienter, conquérir le pouvoir, s'emparer des banques, exproprier les trusts haïs de tous (bien que pour des raisons différentes !) et réaliser d'autres mesures dictatoriales dont l'ensemble aura pour résultat le renversement de la bourgeoisie et la victoire du socialisme, laquelle ne "s'épurera" pas d'emblée, tant s'en faut, des scories petites-bourgeoises.
La social-démocratie, lisons-nous dans les thèses polonaises (1,4), "doit utiliser la lutte menée par la jeune bourgeoisie coloniale contre l'impérialisme européen pour aggraver la crise révolutionnaire en Europe" (les italiques sont des auteurs).
N'est-il pas clair que, sous ce rapport moins que sous tous les autres, on n'a pas le droit d'opposer l'Europe aux colonies ? La lutte des nations opprimées en Europe, capable d'en arriver à des insurrections et à des combats de rues, à la violation de la discipline de fer de l'armée et à l'état de siège, "aggravera la crise révolutionnaire en Europe" infiniment plus qu'un soulèvement de bien plus grande envergure dans une colonie lointaine. A force égale, le coup porté au pouvoir de la bourgeoisie impérialiste anglaise par l'insurrection en Irlande a une importance politique cent fois plus grande que s'il avait été porté en Asie ou en Afrique.
La presse chauvine française a annoncé récemment la parution en Belgique du 80° numéro de la revue illégale la Libre Belgique [2]. La presse chauvine française ment très souvent, certes, mais cette information semble exacte. Alors que la social-démocratie allemande chauvine et kautskiste n'a pas créé de presse libre pendant ces deux années de guerre et supporte servilement le joug de la censure militaire (seuls les éléments radicaux de gauche ont, à leur honneur, fait paraître des brochures et des proclamations sans les soumettre à la censure), une nation cultivée opprimée répond aux atrocités inouïes de l'oppression militaire en créant un organe de protestation révolutionnaire ! La dialectique de l'histoire fait que les petites nations, impuissantes en tant que facteur indépendant dans la lutte contre l'impérialisme, jouent le rôle d'un des ferments, d'un des bacilles, qui favorisent l'entrée en scène de la force véritablement capable de lutter contre l'impérialisme, à savoir : le prolétariat socialiste.
Dans la guerre actuelle, les états-majors généraux s'attachent minutieusement à tirer profit de chaque mouvement national ou révolutionnaire qui éclate dans le camp adverse : les allemands, du soulèvement irlandais; les Français, du mouvement des Tchèques, etc. Et, de leur point de vue, ils ont parfaitement raison. On ne peut se comporter sérieusement à l'égard d'une guerre sérieuse si l'on ne profite pas de la moindre faiblesse de l'ennemi, si l'on ne se saisit pas de la moindre chance, d'autant plus que l'on ne peut savoir à l'avance à quel moment précis et avec quelle force précise "sautera" ici ou là tel ou tel dépôt de poudre. Nous serions de piètres révolutionnaires, si, dans la grande guerre libératrice du prolétariat pour le socialisme, nous ne savions pas tirer profit de tout mouvement populaire dirigé contre tel ou tel fléau de l'impérialisme, afin d'aggraver et d'approfondir la crise. Si nous nous mettions, d'une part, à déclarer et répéter sur tous les tons que nous sommes "contre" toute oppression nationale, et, d'autre part, à qualifier de "putsch" l'insurrection héroïque de la partie la plus active et la plus éclairée de certaines classes d'une nation opprimée contre ses oppresseurs, nous nous ravalerions à un niveau de stupidité égal à celui des kautskistes.
Le malheur des irlandais est qu'ils se sont insurgés dans un moment inopportun, alors que l'insurrection du prolétariat européen n'était pas encore mûre. Le capitalisme n'est pas harmonieusement agencé au point que les diverses sources d'insurrection peuvent fusionner d'elles-mêmes et d'un seul coup, sans échecs et sans défaites. Au contraire, c'est précisément la diversité de temps, de forme et de lieu des insurrections qui est le plus sûr garant de l'ampleur et de la profondeur du mouvement général; ce n'est que par l'expérience acquise au cours de mouvements révolutionnaires inopportuns, isolés, fragmentaires et voués de ce fait à l'échec, que les masses acquerront de la pratique, s'instruiront, rassembleront leurs forces, reconnaîtront leurs véritables chefs, les prolétaires socialistes, et prépareront ainsi l'offensive générale, de même que les grèves isolées, les manifestations dans les villes ou de caractère national, les mutineries dans l'armée, les soulèvements paysans, etc., avaient préparé l'assaut général de 1905.