Après la rediffusion par France3 du documentaire intitulé Robespierre : bourreau de la Vendée,il nous a paru utile de publier l'article rédigé par 2 hisoriens de la Révolution française
« Robespierre, bourreau de la Vendée ? » : une splendide leçon d’anti-méthode historique Réplique
Par Marc Belissa, Université Paris Ouest Nanterre-La Défense et Yannick Bosc, Université de Rouenhttp://revolution-francaise.net/bonnet-de
-la-liberte
. En septembre dernier, la revue Historia a donc consacré un dossier à « Robespierre le psychopathe légaliste ». Le service public conscient de sa mission ne pouvant être en reste, France 3 a diffusé le mercredi 7 mars 2012 un documentaire « réalisé par Richard Vargas et raconté par Franck Ferrand » intitulé « Robespierre : bourreau de la Vendée ? ».
Pour
l’occasion, le
site internet de la chaîne a
proposé une bibliographie généreusement composée de trois
ouvrages. Elle donne le ton. Ainsi parmi des dizaines de biographies
disponibles le choix s’est porté sur le Robespierre de
Jean Artarit, un psychiatre qui s’égare sur le terrain de
l’histoire de la Révolution française. Comme l’a
souligné Historia,
Robespierre c’est d’abord une pathologie. Le visiteur du site est
ensuite encouragé à lire Anne Bernet. Sur Wikipédia elle
est présentée comme une « femme de lettres » qui
collabore à des revues « proches des milieux royalistes »,
« réhabilite l’insurrection royaliste de Vendée » et
dont les livres « sont empreints d’un catholicisme
traditionnel, voire royaliste pour certains ». Elle a contribué
au dossier d’Historia par
un article intitulé « Comment il (Robespierre) a déshonoré
la République ». Elle y affirme, sans preuve, que Robespierre
est l' « inspirateur » des massacres en Vendée (« on
parlerait aujourd’hui d’épuration ethnique »
précise-t-elle). Enfin, pour étancher sa soif de connaissance, le
passionné est engagé à se plonger dans une source, La
Guerre de La Vendée et le système de dépopulation (1)
de Gracchus Baboeuf (sic), publiée aux éditions du Cerf (éditeur
du Livre
noir de la Révolution française),
préfacée par Stéphane Courtois (qui a dirigé Le
livre noir du communisme et
participé au précédent), introduite par Jean-Joël Brégeon
(pourfendeur de la vision « marxiste-léniniste » de la
Révolution française)(2) et Reynald Sécher (le promoteur depuis un
quart de siècle de la reconnaissance du « génocide vendéen »
comme « crime contre l’humanité »). Rappelons que ce
texte de Babeuf, utilisé ici comme une pièce à conviction, reprend
la propagande thermidorienne avec laquelle le Tribun
du peuple va
très vite rompre, ce qui lui vaut d’aller en prison. Quelques mois
plus tard, il écrit à son ami Bodson : « je confesse de
bonne foi que je m’en veux d’avoir autrefois vu en noir et le
Gouvernement révolutionnaire, et Robespierre, et Saint-Just ».
Et il conclut : « en relevant le robespierrisme, vous êtes
sûrs de relever la démocratie » (Lettre à Bodson du 10
ventôse an IV) (3). Évidemment, cela ne sert guère la thèse du
dessein génocidaire que Courtois, Brégeon et Sécher voudraient
attribuer à Robespierre.
Le
site de France 3 énumère ensuite les ouvrages qui sont présentés
« en plateau » après le documentaire : La
Vendée – Vengé : le génocide franco-français,
de Reynald Secher (réédité chez Perrin) et Vendée :
du génocide au mémoricide : Mécanique d’un crime légal
contre l’humanité,
toujours de Reynald Secher (aux éditions du Cerf, spécialistes sur
ce créneau). Pour faire bonne mesure les journalistes évoquent
aussi, Quatre-vingt-treize de
Victor Hugo et deux livres de Jean-Clément Martin (Blancs
et Bleus dans la Vendée déchirée et La
Vendée et la Révolution. Accepter la mémoire pour écrire
l’histoire).
Il était difficile d’ignorer l’ancien directeur de l’Institut
d’Histoire de la Révolution française qui est le spécialiste de
la mémoire vendéenne.
Jean-Clément
Martin est également présent dans le documentaire avec Jean
Artarit, Stéphane Courtois et Reynald Secher. A leur côté, trois
autres intervenants sont désignés comme « historiens » :
Noël Stassinet (président du « Souvenir Chouan de Bretagne »)
dont il est beaucoup question sur les sites royalistes mais dont on
ne trouve aucune trace de recherche historique à son actif ;
Michel Chamard (l’auteur du Puy
du Fou ; un rêve d’enfant,
ancien du Figaro et
directeur du Centre Vendéen de Recherches Historiques) que le
président du conseil général de Vendée décrit, de manière
sibylline, comme l’incarnation de la « tradition française »,
passionné par son attachement à la Civilisation (grand C) qui « a
défendu les valeurs de liberté intellectuelle en 1968 à Nanterre »
(4) ; Antoine Boulant, lieutenant-colonel et historien de la
gendarmerie dont la thèse a porté sur Les
agents secrets du ministre des Affaires étrangères envoyés dans
les départements (1792-1794).
Le
site Chouans
et Vendéens considère
évidemment que « ce programme affiche toutes les qualités de
sérieux et d’objectivité pour faire découvrir au grand public
cette part occultée de la Révolution française. » Avec un
bémol cependant : « on regrettera l’absence du
« Souvenir Vendéen » qui a malheureusement décliné
l’invitation à cette émission à ne manquer sous aucun
prétexte. » (5) En revanche, le téléspectateur notera la
présence de Dominique Lambert de La Douasnerie, « fondateur et
président à vie » (la fonction est-elle héréditaire ?) de
l' « association Vendée militaire », dont la présidente
d’honneur est la comtesse Christian de Quatrebarbes et le premier
vice-président le baron de La Tousche d’Avrigny. (6) La télévision
de service public – qu’elle en soit remerciée – a ainsi tout
mis en œuvre pour offrir une leçon d’anti-méthode historique à
montrer à tous les étudiants de licence. Ils ont là matière à
réfléchir sur ce qu’il ne faut pas faire, sur ce qui distingue
l’histoire fondée sur les méthodes scientifiques et l’histoire
qui se contente de mettre en scène un discours politique recuit mais
probablement « vendeur ».
Au
vu du titre, « Robespierre, bourreau de la Vendée ? »
(on notera le point d’interrogation qui vise à présenter la
question comme « ouverte »), on aurait pu penser que ce
documentaire allait étudier la responsabilité personnelle de
Robespierre dans la guerre de Vendée et dans les massacres commis
lors de cette guerre civile (qui dura dans sa première phase de mars
à décembre 1793, puis de janvier 1794 au traité de la Jaunaye
signé le 17 février 1795 dans sa deuxième phase, même si
Robespierre est mort depuis le 28 juillet 1794…). En fait, nous
avons eu droit à une longue et fastidieuse mise en scène des thèses
de Reynald Secher sur le « génocide franco-français »
et sur le « mémoricide » qui est le thème de l’ouvrage
qu’il vient de sortir fort opportunément.
Restons
dans un premier temps sur le « cas Robespierre » et
notons sans surprise, puisque la « bibliographie » nous
l’indique, que le propos est absolument identique à celui d’Anne
Bernet dans le numéro spécial d’Historia.
On peut le résumer sans beaucoup le schématiser de la façon
suivante : le comité de Salut Public qui est alors « aux
mains de Robespierre » a pris une série de décisions visant à
réprimer la révolte vendéenne, notamment « l’extermination
des brigands », les soldats de la République ont pratiqué
« l’extermination organisée » de la population
(laquelle ?) sur l’ordre de leurs généraux, qui eux-mêmes ont
obéi aux ordres du Comité de Salut Public. Donc, Robespierre =
Comité de Salut Public = massacres en Vendée = extermination, donc
Robespierre = extermination de la Vendée. CQFD. Stéphane Courtois —
le spécialiste des livres noirs — avoue quand même à la fin
d’une phrase : « Bien sûr, on ne peut pas dire que
Robespierre soit le dictateur absolu, mais quand même c’est bien
le Comité de Salut Public dans l’affaire de Vendée qui a envoyé
les ordres. » Et comme Robespierre et le Comité de Salut
Public, c’est tout un…
Le problème est que cette construction digne des plus beaux amalgames et des plus belles manipulations historiques est radicalement fausse et ne s’appuie sur aucun document. D’ailleurs, les « historiens » apparaissant dans l’émission (nous exceptons bien entendu Jean-Clément Martin des guillemets) n’en produisent aucun émanant de Robespierre… S’il en avait eu, ils n’auraient pas manqué de les produire bruyamment. À vrai dire on l’aurait su depuis deux siècles tant les ennemis de Robespierre sont nombreux parmi les écrivains du XIXe siècle sur la Révolution française. Loin de nous l’idée d’affirmer que Robespierre n’a pas soutenu les armées républicaines et la répression de la révolte vendéenne, il partageait peut-être le point de vue de ses collègues du Comité de Salut Public, mais la seule chose dont nous soyons certain, c’est qu’il n’a pas écrit grand-chose sur la question, qu’il n’a prononcé aucun des grands discours sur la Vendée au nom du Comité de Salut Public, bref, qu’il n’a, sur cette question, jamais affirmé une position personnelle (même si, dans plusieurs de ses interventions, il se plaint de la manière dont la guerre a été menée et surtout de la façon dont les factions se sont emparées de la révolte vendéenne pour défendre leurs intérêts politiques particuliers).
Par
ailleurs, l’équation Robespierre = tyran = chef du comité de
Salut public = dictateur de la Convention, si elle ne manque pas
d’antiquité (elle est rabâchée par tous les anti-robespierristes
et les contre-révolutionnaires depuis thermidor an II), manque en
revanche de poids scientifique. Aucun spécialiste actuel de la
Révolution française enseignant dans les universités françaises
n’affirmerait qu’en l’an II, Robespierre possédait un pouvoir
absolu sur la Convention (même Patrice Gueniffey, pourtant peu
« suspect » de robespierrisme, n’écrit pas cela
!).
Robespierre n’est ni un « tyran », ni un « dictateur », ni le « chef » du comité de salut Public. Robespierre est un député qui jouit d’une immense popularité chez les sans-culottes et au-delà dans la population et dont la parole politique possède un poids considérable. Il est membre du comité de salut public du 27 juillet 1793 jusqu’à sa mise hors la loi un an plus tard, il a un réseau de proches et d’amis (plutôt qu’un « parti ») qui défendent des positions analogues. La seule « dictature » en l’an II, si l’on tient à garder cette expression, est celle de la Convention qui a concentré les pouvoirs en son sein. Il s’agit d’une « dictature » collective de représentants élus, ce qui est — on en conviendra — une dictature d’un genre un peu particulier… Alors si Robespierre n’est ni le « chef » du Comité de salut public ni le « dictateur » de la Convention, quelle est sa responsabilité personnelle dans la guerre de Vendée et la répression ? Rien de plus que celle des autres membres du comité qui exercent collectivement les pouvoirs qui leur ont été délégués par la Convention, elle-même responsable en dernier ressort puisqu’elle conserve le droit (dont elle use d’ailleurs) de renouveler ou non le comité. Pourquoi, les « historiens » du documentaire insistent alors sur Robespierre ?
Il
s’agit de toute évidence d’un procédé rhétorique visant
notamment à accrocher l’attention des non-spécialistes. Comme
pour le plus grand nombre, les noms de Barère ou de Carnot (deux
députés fort peu amis de Robespierre), ou encore ceux du général
Westermann n’évoquent pas grand-chose, il faut donc mettre en
avant celui de Robespierre comme « incarnation » du mal
révolutionnaire. Un procédé qui a deux siècles. La légende
thermidorienne et postérieure n’a cessé d’accumuler sur sa tête
toutes les accusations possibles et imaginables pour, en réalité,
mettre en cause le processus révolutionnaire lui-même. L’identité
— fausse — entre Robespierre et Révolution française est
pratique. Il suffit d’écrire « Robespierre » et
immédiatement l’image construite par la légende noire
thermidorienne joue son rôle : on pense guillotines, sang qui
coule, perruques poudrées, et lunettes vertes… Le documentaire n’y
manque pas avec cette phrase bien digne d’être notée : « La
guillotine s’emballe. Robespierre sème l’effroi. » On s’y
croirait… L’identification de la Révolution à Robespierre
permet de faire l’impasse sur sa place réelle dans le processus
révolutionnaire, elle le « dépolitise » et rend
incompréhensible son action pratique entre 1789 et 1794. Elle permet
aussi de personnaliser la haine de la Révolution française. Ce qui
est bien pratique.
Dans
sa forme, et sans finesse, le documentaire met en scène un parti
pris. On remarquera par exemple que toutes les illustrations
picturales représentant les Vendéens datent du XIXe siècle et sont
empruntées à la légende rose vendéenne, construite à partir de
1815. Non ! La Rochejacquelein ne ressemblait pas au portrait
donné de lui par Guérin en 1817 ! On ne sait pas trop à quoi
il ressemblait d’ailleurs… Un seul exemple pris dans le
documentaire : peut-on utiliser sans commentaires spécifiques
une image comme celle de la messe clandestine du prêtre réfractaire,
de toute évidence extrêmement postérieure à la période de la
Révolution ? Les Vendéens apparaissent dans toute cette
iconographie comme de véritables « anges » romantiques.
On peut douter de la réalité de ce type de représentations,
typique de la manière dont on héroïse la Vendée pendant le XIXe
siècle. À l’inverse, les soldats bleus sont souvent montrés,
soit en masse à travers des reconstitutions cinématographiques (le
film « Les Vendéens » de 1993), soit à travers des
images animées où ils fusillent, embrochent et grimacent. Le Comité
de Salut Public est également représenté avec le même système
graphique. Un Robespierre (?) au poing agressif levé et au visage
tordu semble figé dans une attitude de dément. Les bons prêtres
vendéens sont représentés subissant les coups de sans-culottes
avinés, selon les procédés de l’imagerie contre-révolutionnaire
du XIXe siècle.
La
musique est, elle aussi, tout à fait remarquable. Quand le
documentaire montre la messe clandestine des Vendéens retentit un
air faussement sacré et grandiose. En ouverture, les images de
crânes et d’ossements sont au contraire accompagnées par une
musique sinistre qui vise à mettre le téléspectateur dans une
atmosphère de film d’horreur. Toute la partition est à l’avenant.
La lourdeur de « l’illustration » musicale qui souligne
d’un trait fort épais le propos historique n’est évidemment pas
à mettre au débit du compositeur, c’est bien la finalité
idéologique du montage qui est ici en cause. Imaginez le sens du
même documentaire en inversant les illustrations musicales : la
musique sinistre pour les Vendéens et la musique sacrée pour les
Républicains…
Une
des formes particulières de la mise en scène de l’histoire dans
cette émission vient de l’utilisation d’images
donnant l’impression que l’on vient de découvrir quelque
chose de nouveau ou de remarquable dans les Archives. Ainsi, le
commentaire explique que les concepteurs de l’émission ont
« retrouvé le décret du 1er août 1793 dans les Archives
Nationales », on procède de même avec les lettres de Turreau
au Comité de Salut Public qui se trouvent aux Archives de Vincennes
etc. Il s’agit évidemment de donner une épaisseur
« scientifique » aux affirmations grossières du discours
de Sécher et consorts et de montrer que ces documents étaient
« cachés » (sans doute parce qu’ils disaient la
« vérité » sur les massacres de Vendée). En réalité,
ces documents sont bien connus, non seulement des spécialistes, mais
aussi de tout étudiant en histoire ayant eu un cours sur les guerres
de Vendée dans les universités françaises. Ils ont été publiés
et republiés. On les trouve dans toutes les bibliothèques et sur de
nombreux sites internet.
Les
erreurs, les approximations, les manipulations sont, certes, de
toutes les chapelles, mais la chapelle « vendéenne » a
une certaine expérience historique en la matière. Inutile de
revenir ici sur les enjeux politiques de la construction de la
mémoire vendéenne aux XIXe et XXe siècle, Jean-Clément Martin
notamment a publié plusieurs ouvrages sur la question, on les lira
avec profit. Néanmoins, comme ce documentaire reprend un certain
nombre de contre-vérités et d’approximations assez
impressionnant, il faut tout de même en relever les plus
importantes.
L’un
des grands classiques de « l’historiographie »
vendéenne et contre-révolutionnaire est le flou et l’exagération
du nombre des victimes. Dès le début du documentaire, la voix off
affirme « ce carnage (celui du Mans) préfigure une série de
massacres dont seront victimes plus de 170 000 Vendéens ». Si
l’on comprend bien le français, APRÉS la bataille du Mans
(décembre 1793), 170 000 Vendéens seront massacrés… mais on
estime généralement — et c’est ce que rappelle Jean-Clément
Martin à la fin du film — que le nombre TOTAL de victimes et de
disparus des guerres de Vendée se monte à peu près à 170 000. Par
conséquent, l’ensemble des victimes (y compris les morts de
maladies, de faim, les disparus dont une partie est sans doute
toujours vivante, mais ailleurs) serait équivalent aux Vendéens
massacrés par les armées républicaines après décembre 1793. Il y
a comme un problème…
De
même, le « Massacre des Lucs » est un grand classique de
la construction de la légende vendéenne. Le documentaire présente
comme un fait avéré la « tradition locale ». On insiste
sur les enfants de moins de onze ans figurant sur la liste des
victimes « du » massacre des Lucs, mais il a été montré
par plusieurs historiens, dont Jean-Clément Martin, qu’il y avait
eu non UN massacre des Lucs, mais PLUSIEURS tueries sur plusieurs
années. C’est la « tradition » qui a inventé
l’amalgame de ces différents massacres en un seul lieu. Martin
écrit ainsi que « la liste dressée en 1794 comptabilise
manifestement l’ensemble des habitants tués depuis 1789, alors que
toute une tradition veut la voir comme le résultat d’un massacre
unique commis en deux jours de février 1794. Les conclusions sont
évidemment fort divergentes selon la lecture adoptée. » Cette
interprétation — partagée par la plupart des universitaires
spécialistes de la Révolution française — n’est même pas
mentionnée.
Un
deuxième grand classique de « l’historiographie »
vendéenne et contre-révolutionnaire (et l’un des artifices
rhétoriques préférés de la droite « décomplexée »
depuis quelque temps) est de se présenter comme la victime d’un
complot universitaire de la part de « l’histoire officielle »
dont on sous-entend qu’elle ne veut pas poser la question de la
Vendée parce qu’elle la gêne. Ainsi, on insiste sur Reynald
Secher, le « jeune historien » qui a eu, au milieu des
années quatre-vingt, le « courage » de s’opposer à
l’histoire officielle au moment de la préparation du Bicentenaire
de la Révolution française. Le commentateur note naïvement que le
livre de Secher tombait bien mal… On peut au contraire considérer
— avec tous les spécialistes qui ont travaillé sur la période du
Bicentenaire — que cela tombait fort bien et que la soutenance de
thèse de Secher, montée en épingle par Pierre Chaunu, n’était
qu’un des moments choisis par l’extrême-droite, catholique,
vendéenne et royaliste pour lancer « son » bicentenaire.
La « communauté des historiens » s’est « insurgée »
nous dit le commentaire. Elle s’est surtout insurgée contre
l’utilisation à tort et à travers du concept de génocide et sur
l’approximation de la méthode utilisée par Secher. Nous ne
referons pas ici un commentaire critique de ce livre, il a été fait
depuis longtemps. Ce n’est pas un hasard si aucun historien
universitaire spécialiste de la Révolution française n’y accorde
crédit (et il faut une sérieuse méconnaissance du milieu
universitaire pour imaginer un complot « gauchiste »
contre le « courageux » Reynald Secher).
Stéphane Courtois — lui-même fort peu considéré parmi les historiens contemporanéistes, qui sont sans doute aussi tous de dangereux extrémistes — est convoqué pour souscrire à la thèse de « l’histoire officielle ». Il dit ainsi : « Certains historiens, et on peut comprendre, refusent qu’on parle de génocide ». Car « comme vous le savez en France, on ne peut pas toucher à la Révolution, c’est sacré. En même temps… bon… il faut quand même que les historiens fassent leur travail… » Courtois sous-entend-il que ceux qui critiquent le concept de « génocide vendéen » n’en sont pas ? Sans doute… D’ailleurs, « l’histoire de la Vendée va être systématiquement occultée dans l’historiographie française » pendant deux siècles nous explique le même Courtois. Nous invitons le grand spécialiste des livres noirs à se plonger notamment dans les travaux de Paul Bois, de Jacques Godechot, de Marcel Faucheux, Marcel Lidove, Claude Petitfrère ou Jean-Clement Martin pour rester parmi les historiens français de la seconde moitié du XXe siècle.
Le journaliste Christophe Bourseiller se fait aussi le défenseur de l’historien « anticonformiste » Secher. Son livre est « celui par lequel la vérité a été rappelée aux Français car il faut dire que les événements de Vendée sont presque toujours oubliés par notre historiographie ». Secher a eu « le courage de sonder la mémoire des vaincus ». Les historiens universitaires « officiels » n’ont pourtant eu que « haine » et « silence » contre son livre…
Stéphane Courtois — lui-même fort peu considéré parmi les historiens contemporanéistes, qui sont sans doute aussi tous de dangereux extrémistes — est convoqué pour souscrire à la thèse de « l’histoire officielle ». Il dit ainsi : « Certains historiens, et on peut comprendre, refusent qu’on parle de génocide ». Car « comme vous le savez en France, on ne peut pas toucher à la Révolution, c’est sacré. En même temps… bon… il faut quand même que les historiens fassent leur travail… » Courtois sous-entend-il que ceux qui critiquent le concept de « génocide vendéen » n’en sont pas ? Sans doute… D’ailleurs, « l’histoire de la Vendée va être systématiquement occultée dans l’historiographie française » pendant deux siècles nous explique le même Courtois. Nous invitons le grand spécialiste des livres noirs à se plonger notamment dans les travaux de Paul Bois, de Jacques Godechot, de Marcel Faucheux, Marcel Lidove, Claude Petitfrère ou Jean-Clement Martin pour rester parmi les historiens français de la seconde moitié du XXe siècle.
Le journaliste Christophe Bourseiller se fait aussi le défenseur de l’historien « anticonformiste » Secher. Son livre est « celui par lequel la vérité a été rappelée aux Français car il faut dire que les événements de Vendée sont presque toujours oubliés par notre historiographie ». Secher a eu « le courage de sonder la mémoire des vaincus ». Les historiens universitaires « officiels » n’ont pourtant eu que « haine » et « silence » contre son livre…
Il
est vrai que les historiens « officiels » ont la manie de
pinailler sur des détails et d’aimer la précision dans les
termes : ils n’aiment pas que l’on parle de « conscription »
et de « service militaire obligatoire » avant la loi
Jourdan Delbrel qui les créent en 1797, ils n’aiment pas que
Carnot soit désigné comme « ministre de la guerre du Comité
de Salut Public » alors qu’il n’a jamais été ministre,
ils estiment quelque peu confuses des expressions comme « les
enragés montagnards menés par Robespierre ». Ils trouvent que
la phrase « n’importe qui peut-être arrêté sous n’importe
quel prétexte » ne reflète pas vraiment le contenu de la loi
des suspects, etc. On pourrait multiplier les citations montrant que
la rigueur dans l’utilisation du vocabulaire historique et la
précision des faits n’est pas le fort des « historiens »
Secher, Artarit et Courtois, pas plus que celui des auteurs du
documentaire.
Ils sont pourtant capables de moduler le vocabulaire quand leur propos le nécessite. Ainsi les armées républicaines commentent des « crimes », jamais l’armée catholique et royale. Il est vrai qu’elle n’a commis qu’un massacre, celui de Machecoul ! D’ailleurs, les Vendéens ne « massacrent » pas les Bleus, ils « s’en prennent » aux notables républicains des villes. Sans rire, le commentaire — faisant ainsi la preuve de son caractère « modéré » — admet que « CE massacre est bien le fait des Vendéens » (même s’il a été provoqué par le fait que les Bleus « ont tiré sur la foule »). Aucun autre massacre des Blancs sur les Bleus ne sera évoqué dans le documentaire. Exit Châtillon, le Pallet, Bouin, etc. Il est vrai que le commentaire sous-entend que « les » Vendéens se soulèvent dans un bel élan unanime pour Dieu et le Roi, mais on ne saura donc pas grand-chose sur les républicains de Vendée, de Loire-inférieure, de Mayenne qui se sont battus avec acharnement contre les Blancs, les empêchant de prendre les grandes villes de l’ouest. Car « la » Vendée est AUSSI une guerre civile locale entre Blancs et Bleus (mais évidemment, cela pose une question fondamentale que Secher n’aborde pas : les Bleus de Vendée sont-ils des « génocidaires » d’eux-mêmes ?) On ne saura rien non plus sur la politique menée par la direction de l’Armée catholique et royale dans les territoires « libérés », sur ses liens avec les émigrés ou les Anglais.
Ils sont pourtant capables de moduler le vocabulaire quand leur propos le nécessite. Ainsi les armées républicaines commentent des « crimes », jamais l’armée catholique et royale. Il est vrai qu’elle n’a commis qu’un massacre, celui de Machecoul ! D’ailleurs, les Vendéens ne « massacrent » pas les Bleus, ils « s’en prennent » aux notables républicains des villes. Sans rire, le commentaire — faisant ainsi la preuve de son caractère « modéré » — admet que « CE massacre est bien le fait des Vendéens » (même s’il a été provoqué par le fait que les Bleus « ont tiré sur la foule »). Aucun autre massacre des Blancs sur les Bleus ne sera évoqué dans le documentaire. Exit Châtillon, le Pallet, Bouin, etc. Il est vrai que le commentaire sous-entend que « les » Vendéens se soulèvent dans un bel élan unanime pour Dieu et le Roi, mais on ne saura donc pas grand-chose sur les républicains de Vendée, de Loire-inférieure, de Mayenne qui se sont battus avec acharnement contre les Blancs, les empêchant de prendre les grandes villes de l’ouest. Car « la » Vendée est AUSSI une guerre civile locale entre Blancs et Bleus (mais évidemment, cela pose une question fondamentale que Secher n’aborde pas : les Bleus de Vendée sont-ils des « génocidaires » d’eux-mêmes ?) On ne saura rien non plus sur la politique menée par la direction de l’Armée catholique et royale dans les territoires « libérés », sur ses liens avec les émigrés ou les Anglais.
A
part cela ? Quoi de neuf ? Rien.
Des
variations sur le thème « anti-totalitaire » qui ne sont
ni très neuves ni très remarquables par leur intelligence
interprétative. Le grand spécialiste des livres noirs, Stéphane
Courtois, nous livre ainsi une réflexion de poids : « Qu’est-ce
qu’un brigand ? Bon… Un brigand… c’est un criminel.
Alors… ça c’est intéressant… La criminalisation des
adversaires politiques ou des opposants quels qu’ils soient. Il ne
s’agit plus d’un débat politique, il s’agit de se débarrasser
d’une catégorie de la population. » Certes… la
criminalisation des adversaires politiques… mais bon (pour parler
comme Courtois)… Est-ce bien là une particularité de la
Révolution française en général et des révolutionnaires en
particulier ? Les tenants de la contre-révolution comme Burke
ou Mallet du Pan agissent-ils et parlent-ils autrement ? Les
journaux royalistes de 1789 jusqu’au 10 août 1792 traitent tout
« patriote » de « brigand », de
« cannibale », de « buveur de sang ».
Brunswick appelle au massacre de tous les révolutionnaires de Paris
dans son manifeste. Les contre-révolutionnaires anglais sont accusés
par l'opposition de mener une bellum
internecinum (une
guerre d’extermination), etc., etc. Le refus du « débat
politique » peut difficilement être un apanage des
révolutionnaires et il est vrai qu’en Vendée, il ne s’agit en
aucun cas d’un débat feutré entre adversaires de bonne société,
mais d’une guerre civile à mort dans un contexte de guerre
étrangère, la tentation de "criminaliser" l’adversaire
est bien forte des deux côtés.
Et
les massacres de femmes et d’enfants, les colonnes infernales ?
Ce n’est pas du totalitarisme, cela ? Secher explique qu’après
août 1793, on ne fait plus de distinction entre les brigands et les
femmes, les enfants et les vieillards, que l’on « globalise »
l’extermination (sous-entendu, on arrive au génocide puisque tout
le monde est « englobé »). Le sage Courtois renchérit :
« La rhétorique, elle est très claire, il y a le peuple et
les ennemis du peuple, voilà… bon… », « il faut
justifier une extermination de masse ». S’il le dit…
La rhétorique, en effet. Celle de Barère, du comité de Salut Public, n’est pas une rhétorique totalitaire, mais une rhétorique de guerre. Si les « historiens » du documentaire avaient quelques connaissances en histoire militaire et politique de l’époque moderne, ils sauraient que la rhétorique de l’extermination n’est pas spécifique aux révolutionnaires français. Sans revenir aux guerres de religion du XVIe siècle, elle est présente dans la plupart des conflits du XVIIIe siècle quand ils impliquent des populations civiles (par exemple lors de la rébellion jacobite en Écosse en 1745). On la retrouve dans la guerre de la deuxième coalition des deux côtés…
La rhétorique, en effet. Celle de Barère, du comité de Salut Public, n’est pas une rhétorique totalitaire, mais une rhétorique de guerre. Si les « historiens » du documentaire avaient quelques connaissances en histoire militaire et politique de l’époque moderne, ils sauraient que la rhétorique de l’extermination n’est pas spécifique aux révolutionnaires français. Sans revenir aux guerres de religion du XVIe siècle, elle est présente dans la plupart des conflits du XVIIIe siècle quand ils impliquent des populations civiles (par exemple lors de la rébellion jacobite en Écosse en 1745). On la retrouve dans la guerre de la deuxième coalition des deux côtés…
Avec
Carrier, on est « dans le dur ». Ah ! les noyades…
sujet inépuisable… Carrier n’est pas un sanguinaire, c’est un
« pur », explique Jean Artarit, il ajoute qu’il est là
« pour sortir l’homme révolutionnaire (?), et donc il faut
tuer tous les autres. » Profonde réflexion… Un peu plus
tard, on apprend que Carrier fait emprisonner les commerçants « dont
il convoite la fortune », qu’il envoie des enfants à la
guillotine, qu’il affame volontairement les prisonniers en ne leur
donnant que du riz à manger, qu’il est l’inventeur des noyades
« procédé d’extermination encore plus radical »,
qu’il « aurait fait tirer de prison les plus jolies filles
leur promettant la vie sauve contre des faveurs avant de les faire
noyer à l’aube » (mais ce sont peut-être des
« rumeurs »). On apprend même le nombre des noyés
(environ 6 000). Tous ces « faits » ne sont pourtant rien
moins qu’établis. Sans entrer dans le détail de l’affaire
Carrier et du rôle que son procès joue dans la définition de la
« Terreur » après Thermidor (7), il faut rappeler que
personne n’a pu prouver que Carrier s’était enrichi, qu’il
aurait monnayé ses grâces auprès des jolies Nantaises, ni même
qu’il aurait ordonné les noyades. Des noyades, il y en a bien eu,
c’est à peu près certain, mais combien, avec combien de victimes
à chaque fois, avec quels exécutants, nous ne le savons pas avec
certitude (8).
Les
« colonnes infernales de Turreau » sont
« incompréhensibles » puisque la « Vendée n’est
plus une menace », c’est du moins ce qu’affirme Secher.
Pourtant, la première guerre de Vendée se termine en 1795 (pour
reprendre presque aussitôt) et la guerre extérieure ne prend fin
complètement qu’en 1802. On peut penser que, pour les dirigeants
parisiens, la menace est encore bien présente et que la nécessité
d’éradiquer la révolte est toujours bien là.
Mais ces destructions de Turreau… on est bien dans le « génocide », non ?
Rien n’est moins sûr… La tactique appliquée par Turreau est courante dans la répression des insurrections locales dans les guerres de toute l’Europe. La destruction des maisons, des récoltes, du bétail, l’exécution des paysans pris les armes à la main, étaient, hélas, les méthodes utilisées par tous les pouvoirs, monarchistes ou non, qui faisaient face à des insurrections paysannes dans un « pays » difficile d’accès. Le caractère atroce des massacres perpétrés par les armées républicaines ou par l’Armée catholique et royale n’était en rien inédit. Les mêmes massacres se répètent en bien d’autres circonstances, par exemple l’insurrection sanfediste à Naples en 1798.
Mais ces destructions de Turreau… on est bien dans le « génocide », non ?
Rien n’est moins sûr… La tactique appliquée par Turreau est courante dans la répression des insurrections locales dans les guerres de toute l’Europe. La destruction des maisons, des récoltes, du bétail, l’exécution des paysans pris les armes à la main, étaient, hélas, les méthodes utilisées par tous les pouvoirs, monarchistes ou non, qui faisaient face à des insurrections paysannes dans un « pays » difficile d’accès. Le caractère atroce des massacres perpétrés par les armées républicaines ou par l’Armée catholique et royale n’était en rien inédit. Les mêmes massacres se répètent en bien d’autres circonstances, par exemple l’insurrection sanfediste à Naples en 1798.
Cela
n’empêche pas le journaliste Christophe Bourseiller d’acquiescer
quand le présentateur lui pose la question : « Robespierre
a-t-il voulu mener une expérience en inventant… en éradiquant une
population pour inventer l’homme nouveau ? » On attend
toujours la référence du document où Robespierre aurait ne
serait-ce qu’esquissé un programme d’éradication d’une
population « pour créer un homme nouveau »… Mais
Bourseiller n’est pas à cela près puisque quelques secondes plus
tard, il affirme avec beaucoup d’aplomb que les colonnes infernales
de Turreau « préfigurent les Einsatzgruppen »
nazis (et oui, dans les deux cas, il y a eu des massacres dans les
bois). Robespierre ce n’est plus seulement Lénine, Staline et Pol
Pot, c’est directement Hitler et la SS… Il est vrai que le
« communisme » et le « nazisme » c’est tout
un… Certes, Bourseiller trouve que Secher exagère quand il parle
de « fours crématoires »… Il est modéré, le
journaliste Bourseiller… pas comme les révolutionnaires qui ont
anticipé les Khmers rouges en changeant le nom de la Vendée en
« Vengé » comme Pol Pot a appelé son pays le Kampuchea.
La comparaison laisse pantois.
Approximations,
erreurs, manipulations, mise en scène, reprise du vieux discours
vendéen et contre-révolutionnaire remis au goût « génocidaire »
du jour, une pincée d’anti-totalitarisme : de vieilles
recettes pour une vieille mixture. Dès lors, tous les sites
royalistes du Web en conviennent : cette émission a été
placée sous le signe de la rigueur historique et de l’objectivité.
Il n’y a donc rien de racoleur ni de politique dans cette agitation
médiatique autour de Robespierre et des guerres de Vendée que nous
a offert le service public en collaboration avec Europe 1. C'est
évidemment un pur hasard si le 8 mars, au lendemain de l'émission,
les députés qui soutiennent le lobby vendéen (Dominique Souchet,
Hervé de Charette, Lionnel Luca etc.) ont déposé une nouvelle
proposition de loi visant à reconnaître le « génocide
vendéen ».
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