Textes
et documents
Présentation: Bien sur les promesses et les espoirs de cet immense événement n'ont pas été réalisées, John Reed est mort du typhus à son retour à Moscou, Radek, Zinoviev et tant d'autres sont tombés sous les balles des tueurs de Staline.En Allemagne, en Chine, en Espagne..la révolution prolétarienne a été écrasée par la monstrueuse coalition de l'impérialisme et du stalinisme.L'Orient est aujourd'hui sous les bombes et les immenses forces des travailleurs chinois sont encore, pour combien de temps, livrées à la cupidité des multinationales et des bureaucrates reconvertis à l'économie de marché
Il reste que la perspective ouverte par le congrès de Bakou offre la seule issue positive à la crise effroyable que traverse l'humanité, il reste que nous n'avons rien d'autre à proposer que l'union libre et fraternelle des peuples du monde, libérés de l'oppression, de l'exploitation et de la guerre
Présentation: Bien sur les promesses et les espoirs de cet immense événement n'ont pas été réalisées, John Reed est mort du typhus à son retour à Moscou, Radek, Zinoviev et tant d'autres sont tombés sous les balles des tueurs de Staline.En Allemagne, en Chine, en Espagne..la révolution prolétarienne a été écrasée par la monstrueuse coalition de l'impérialisme et du stalinisme.L'Orient est aujourd'hui sous les bombes et les immenses forces des travailleurs chinois sont encore, pour combien de temps, livrées à la cupidité des multinationales et des bureaucrates reconvertis à l'économie de marché
Il reste que la perspective ouverte par le congrès de Bakou offre la seule issue positive à la crise effroyable que traverse l'humanité, il reste que nous n'avons rien d'autre à proposer que l'union libre et fraternelle des peuples du monde, libérés de l'oppression, de l'exploitation et de la guerre
Le
congrès des peuples d'Orient, Bakou 1920
Septembre
1920. Pour l’Etat révolutionnaire russe c’était un moment
de grand espoir – mais aussi de grand danger. En 1917, les
travailleurs russes avaient pris le pouvoir. Depuis ce temps, ils
avaient subi une soi-disant « guerre civile » [en réalité
l’invasion d’une douzaine d’armées étrangères, y compris la
britannique et la française] atrocement cruelle. Des révolutions en
Hongrie et Bavière en 1919 avaient été rapidement écrasées.
Les
dirigeants bolcheviques savaient bien qu’il fallait étendre la
révolution. Si la révolution restait isolée, elle ne pourrait pas
survivre. Personne ne parlait encore du socialisme dans un seul pays.
Le nouvel Etat soviétique avait donc besoin d’alliés, dans ses
propres intérêts et dans l’intérêt des travailleurs du monde
entier. Ou bien le socialisme étendait sa victoire, ou bien
l’exploitation continuait et de nouvelles guerres allaient se
préparer.
C’était
dans cette perspective que l’Internationale Communiste avait été
créée en 1919, dans le but d’encourager la révolution mondiale.
Le deuxième congrès de l’Internationale, tenu à Moscou en
juillet et août 1920, avait regroupé un grand nombre de socialistes
et de syndicalistes qui allaient dès lors former les nouveaux partis
communistes à même de bouleverser le capitalisme mondial une fois
pour toutes. Mais la grande majorité des délégués venaient de
l’Europe. Il fallait aussi chercher des alliés ailleurs, dans ce
que Zinoviev, le président de l’Internationale Communiste,
appelait « la deuxième moitié du congrès de
l’Internationale1 ». Voilà ce qui a constitué le congrès
de Bakou
Bakou 1920, un orchestre"oriental"pour l'accueil des délégués |
.
La
guerre de 1914-1918 avait été une guerre impérialiste. Malgré
leur rhétorique, les empires britannique et français n’avaient
aucune intention de « libérer » les peuples des
colonies. Le traité de Versailles accordait « le droit des
peuples à disposer d’eux?mêmes » aux pays européens, mais
nullement aux pays de l’Afrique et de l’Asie. La vision des
bolcheviques portée avec elle un monde où le colonialisme et le
racisme seraient abolis et oubliés à jamais
. Selon le
bolchevique Radek, il fallait s’appliquer « à l’œuvre de
reconstruction d’une nouvelle humanité libre où il n’y aura
plus de gens de couleur, où il n’y aura plus de différences dans
les droits et les obligations, où tous jouiront des mêmes droits et
auront les mêmes devoirs2 ». Le manifeste adopté par le
deuxième congrès de l’Internationale avait donc souligné
l’importance pour les communistes dans les pays impérialistes de
la lutte contre leur propre impérialisme :
Le socialiste qui, directement ou indirectement, défend la situation privilégiée de certaines nations au détriment des autres, qui s’accommode de l’esclavage colonial, qui admet des droits entre les hommes de race et de couleur différentes; qui aide la bourgeoisie de la métropole à maintenir sa domination sur les colonies au lieu de favoriser l’insurrection armée de ces colonies, le socialiste anglais qui ne soutient pas de tout son pouvoir l’insurrection de l’Irlande, de l’Égypte et de l’Inde contre la ploutocratie londonienne, – ce « socialiste », loin de pouvoir prétendre au mandat et à la confiance du prolétariat, mérite sinon des balles, au moins la marque de l’opprobre.
C’est
dans ce contexte que le Comité Exécutif de l’Internationale a
invité des représentants des peuples opprimés à se rassembler à
Bakou. L’endroit était bien choisi. Bakou se trouvait en
Azerbaïdjan, un des pays de l’ancien empire tsariste devenu
indépendant en 1918, et qui se trouvait « au croisement entre
la Russie et l’Orient4 ». D’autre part, il s’agissait
d’un centre pétrolier, et les bolcheviques avaient conscience de
l’importance que prendrait le pétrole au xxesiècle. Lorsque le
révolutionnaire américain John Reed s’adressa aux délégués, il
leur demanda : « Vous ne savez pas comment Bakou se
prononce en américain? Il se prononce oil [pétrole]5. »
Le
voyage n’était pas sans dangers. Le gouvernement britannique mit
tout en œuvre pour empêcher les délégués d’arriver à Bakou.
Un bateau à vapeur qui transportait des délégués iraniens fut par
exemple attaqué par un avion britannique; deux délégués périrent
et l’attaque fit plusieurs blessés. Des navires de guerre
britanniques essayèrent également d’empêcher les délégués
turcs de traverser la mer Noire. Deux iraniens furent tués à la
frontière d’Azerbaïdjan par la police iranienne6. Les délégués
qui venaient de Moscou devaient, de leur côté, traverser des
régions dévastées par la guerre civile. Le délégué français,
Alfred Rosmer, écrivit à ce sujet :
Le voyage […] nous permit de saisir sur le vif l’immensité des ruines causées par la guerre civile; la plupart des gares avaient été détruites; les voies de garage étaient partout encombrées de carcasses de wagons à demi brûlés; quand les Blancs étaient battus, ils faisaient en se retirant le maximum de destructions. Une des gares les plus importantes de l’Ukraine, Lozovaïa, avait été tout récemment encore attaquée par une bande; nous avions sous les yeux les dommages que causaient de telles attaques, encore fréquentes dans ces régions
Quand
bien même, les délégués vinrent en nombre. Il est difficile
d’établir les chiffres précis, mais selon le compte-rendu
sténographique du congrès, il y avait 1891 délégués, dont 1273
communistes. En effet, on accueillait avec plaisir
les délégués non communistes ; selon Zinoviev, le président de
l’Internationale Communiste :
Nous ne vous avons pas demandé à quel parti vous appartenez; nous ne vous posons que les questions suivantes : « Es-tu travailleur ? fais-tu partie de la masse laborieuse ? Veux-tu mettre fin à la guerre civile et désires-tu organiser la lutte contre les oppresseurs ? » Cela suffit. Nous n’avons pas besoin d’autre chose et nous ne vous réclamons aucun passeport politique.
Beaucoup
des délégués venaient des pays de l’ancien empire tsariste et du
Moyen?Orient. On comptait 100 Géorgiens, 157 Arméniens, 235 Turcs,
192 Persans et 82 Tchétchènes – mais
aussi 14 Hindous et 8 Chinois. Les traductions prirent un temps fou;
on pouvait y entendre des langues asiatiques qui avaient été
supprimées à l’époque tsariste. Alfred Rosmer écrivit encore :
« La salle était d’un pittoresque extrême; tous les
costumes de l’Orient rassemblés dessinaient un tableau d’une
étonnante et riche couleur9. »
Le
Congrès de Bakou, l'internationale communiste et la question
coloniale
Textes
et documents
Au
moment où éclata la guerre mondiale, les dirigeants, de France et
d’Angleterre, et leurs valets de la presse, assuraient que cette
conflagration universelle porterait la liberté aux peuples
qu’opprimait l’Allemagne barbare. Mais
s’il s’agissait de libérer des peuple opprimés, […] pourquoi
ces grandes puissances n’ont-elles pas commencé par donner la
liberté aux peuples qu’elles oppriment elles-mêmes ?
Pourquoi l’Angleterre n’a-t-elle pas donné la liberté à
l’Irlande? Pourquoi tient-elle sous son joug les 300 millions
d’hommes qui habitent l’Inde ? Pourquoi la France, qui
prétendait lutter contre la barbarie allemande, opprime-t-elle le
Maroc, la Tunisie, l’Algérie, et poursuit-elle encore à présent
la guerre en Cilicie et en Syrie pour augmenter son empire d’un
lambeau d’Asie?
Bien au contraire, la France et l’Angleterre tentent de reprendre à
ces peuples même les maigres réformes qu’elles leur avaient
accordées avant la guerre. Quand
il fallait lutter contre les Allemands et mobiliser, dans ce but, des
centaines de milliers d’Algériens, de Tunisiens et de Marocains,
on promit à ces derniers toutes sortes de libertés; mais
aujourd’hui, quand les représentants de la Tunisie, évoquant les
45 000 Tunisiens qui ont péri sur les champs de bataille, rappellent
timidement les promesses faites par le gouvernement français,
celui-ci, pour toute réponse, arrête et emprisonne les « meneurs »
et supprime les journaux indigènes qui se sont permis de publier
leur déclaration.
Alfred
Rosmer
Le
mouvement que commencent à l’heure qu’il est les femmes de
l’Orient, ne doit pas être considéré du point de vue de ces
féministes légères pour qui le rôle de la femme, dans la vie
publique, est celui d’une plante délicate ou d’un joujou
élégant; ce mouvement doit être considéré comme une conséquence
importante et nécessaire du mouvement révolutionnaire général que
traverse à l’heure actuelle le monde entier. Les femmes de
l’Orient ne luttent pas seulement pour le droit de sortir sans
voile, comme on le croit assez souvent. Pour la femme de l’Orient,
avec son idéal moral si élevé, la question du voile est au dernier
plan. Si les femmes, qui forment la moitié de l’humanité, restent
les adversaires des hommes, si on ne leur accorde pas l’égalité
des droits, le progrès de la société humaine est évidemment
impossible; l’état arriéré de la société orientale en est
une preuve irrécusable. Camarades, soyez-en sûrs, tous les efforts
et toute la peine que vous dépenserez pour réaliser les formes
nouvelles de la vie sociale, toutes vos aspirations, quelques
sincères qu’elles soient, resteront stériles, si vous ne faites
appel à la femme qui sera votre compagne, votre aide véritable dans
vos travaux […]. Mais nous savons aussi qu’en Perse, à Boukhara,
à Khiva, au Turkestan, aux Indes et dans les autres pays musulmans,
la situation de nos sœurs est encore pire que la nôtre. Mais
l’injustice dont nous et nos sœurs sommes les victimes ne reste
pas impunie; témoin, l’état arriéré et la décadence de tous
les pays de l’Orient. Sachez, camarades, que le mal qu’on fait à
la femme n’est jamais resté et ne restera jamais sans punition
[…]. La lutte des femmes communistes de l’Orient sera encore plus
dure, parce qu’elles auront à combattre, en plus, le despotisme de
l’homme. Si vous autres, hommes de l’Orient, restez, comme par
le passé, indifférents au sort de la femme, soyez-en sûrs, nos
pays, vous et nous périrons, ou alors nous entreprendrons avec les
autres opprimés, une lutte à mort, pour la conquête de nos droits.
Voici, en abrégé, les principales revendications des femmes :
Si vous voulez votre propre libération, prêtez l’oreille à nos
revendications et prêtez-nous une aide et un concours efficaces :
- Complète égalité des droits ;
- Droit pour la femme à recevoir au même titre que l’homme l’instruction générale ou professionnelle dans tous les établissements y affectés ;
- Égalité des droits de l’homme et de la femme dans le mariage. Abolition de la polygamie ;
- Admission sans réserves de la femme à tous les emplois administratifs et à toutes les fonctions législatives ;
- Organisation dans toutes les villes et villages de comités de protection des droits de la femme.
Najiye
Hanum éléguée turque au Congrès de Bakou
Une
honte ! Une lettre de Robert LOUZON, membre fondateur du Parti
communiste tunisien
Source
Contretemps
Le Bulletin
Communiste a
publié dans un de ses récents numéros un rapport sur la question
coloniale présenté dans un Congrès interfédéral de l’Afrique
du Nord, et approuvé, paraît-il par l’unanimité des délégués
à ce Congrès.
Ce
rapport est une honte pour le prétendu communiste qui l’a rédigé,
et pour ceux qui, sans l’avoir attentivement lu, je l’espère,
l’ont voté.
Si
le Parti Communiste n’élevait contre ce rapport une vigoureuse
protestation, il se rangerait, selon l’exacte expression du Congrès
de l’Internationale, parmi les esclavagistes.
Le
point capital du rapport, c’est la volonté affirmée de maintenir
les peuples colonisés sous le joug des nations colonisatrices.
Dès
les premières lignes on énonce : « II
y a des peuples opprimés qui sont dès maintenant accessibles à la
souveraineté, et d’autres qui ne le sont pas »,
« il
y a des peuples en tutelle qui sont dès maintenant capables de se
gouverner, et d’autres qui ne le sont pas encore ».
Et comme la suite du rapport montre, à l’évidence, que pour son
auteur, les indigènes d’Algérie rentrent dans la seconde
catégorie, celles des peuples qui ne sont pas « accessibles
à la souveraineté »,
qui doivent être maintenus « en
tutelle »,
la conclusion pratique en est que la bourgeoisie capitaliste
française doit continuer à régner sur les masses indigènes de
l’Afrique du Nord, et à leur imposer sa « tutelle »
— au besoin par les mitrailleuses — si elles tentaient de se
révolter.
C’est
la légitimation la plus éhontée de l’état de fait actuellement
existant, c’est la condamnation la plus caractérisée des efforts
faits par les indigènes de tous les pays colonisés, en Algérie
aussi bien qu’ailleurs, pour s’émanciper du joug que le
capitalisme occidental fait peser sur eux, c’est la proclamation du
droit, pour la bourgeoisie des nations industrielles, de réaliser de
« l’accumulation
primitive »
par expropriation des peuples agricoles non encore soumis au régime
capitaliste.
Tout
ceci d’ailleurs caché sous la même phraséologie hypocrite que
celle dont la bourgeoisie couvre toujours les intérêts matériels
qui la guident. C’est « pour
servir aux peuples colonisés de précepteurs humains et
désintéressés »
qu’on s’impose à eux. Cela se lit dans tous les discours
officiels… et dans ce rapport d’un Congrès communiste !
Le
droit à la domination posé, il faut tenter de le justifier. Le
rapporteur d’Alger s’y emploie en transcrivant les lamentables
lieux communs qui constituent la thèse habituelle des conversations
de café entre les éléments les plus arriérés de la bourgeoisie
européenne d’Algérie. Il le fait sans s’apercevoir que ce qu’il
dit de l’indigène s’applique tout autant au Français.
La
masse indigène, dit-il, est ignorante. Pour certaines régions, la
Kabylie, par exemple, cela est faux. Dans d’autres, c’est exact.
Mais
la masse française est-elle savante ? Combien de Français
savaient lire lorsque fut institué le suffrage universel ? En
89 ou même en 48, il n’y avait guère plus de Français qui
savaient lire qu’il n’y a aujourd’hui d’Arabes qui le
savent ; l’auteur du rapport estime-t-il, en conséquence, que
le peuple français n’était point mûr alors pour la
« souveraineté »
et qu’il aurait dû rester soumis à « la
tutelle »
d’un monarque ou d’un peuple étranger ?
Aujourd’hui
même, d’après un sénateur, M. Roustan, « sur
437 000 conscrits français, 150 000 n’ont-ils pas
compris, dès lors, [qu’ils
ont reçu] une
instruction totalement insuffisante ».
L’auteur du rapport va-t-il conseiller la mise en « tutelle »
du peuple français par le peuple allemand, dont l’instruction est
de beaucoup supérieure ?
Le
rapport signale ensuite « l’emprise
des marabouts et des confréries religieuses »
sur l’esprit des indigènes. Ignorerait-on en Algérie l’emprise
des prêtres et des moines sur l’esprit de la plupart des
Français ? Ignorerait-on que c’est par centaines de mille que
se comptent chaque année les pèlerins à Lourdes et autres lieux ?
Ne se serait-on point aperçu que durant la guerre, les soldats
français qui ne portaient point sur eux quelques gris-gris et
refusaient, blessés, les exercices d’exorcismes des aumôniers,
étaient fort rares ?
L’égalité
de l’homme et de la femme n’existe pas chez l’indigène. C’est
exact. Mais existe-t-elle en France ? Pas plus pour les droits
civils que pour les droits politiques, il n’y a égalité entre le
Français et la Française.
Enfin !
argument suprême ! d’après le rapporteur, la meilleure
preuve que les indigènes algériens ont besoin d’une « tutelle »,
c’est que les ouvriers agricoles indigènes ne sont pas syndiqués !
Mais, connaissez-vous beaucoup de syndiqués parmi les ouvriers
agricoles européens en Algérie, monsieur le rapporteur, et même en
France, croyez-vous que la Fédération des ouvriers de la terre
compte de bien nombreux effectifs ?
Mais
surtout, comment les congressistes d’Alger ne se sont-ils pas
souvenus qu’il y a près d’un siècle que la France est en
Algérie ? Et comment n’ont-ils pas compris dès lors que si
après un siècle de « tutelle »
les indigènes sont encore dans l’état arriéré où ils les
dépeignent, c’est que la « tutelle »
est un moyen de domination, mais n’est pas un instrument de
progrès. Une prolongation de tutelle ne fera que prolonger l’état
d’ignorance et de fanatisme que l’on décrit. Pour se développer,
un peuple a besoin de ne pas être sujet. La condition non suffisante
mais nécessaire pour qu’un peuple progresse, c’est
l’indépendance. Tenir les indigènes dans la servitude est le
moyen certain de leur conserver une âme d’esclave.
Quant
à l’accusation de nationalisme que porte le rapport contre ceux
des indigènes qui luttent pour l’émancipation politique de leur
race, elle repose sur un sophisme éhonté. C’est un sophisme que
de mettre sur le même pied tous les nationalismes. Il n’y a pas
d’équivalence entre le nationalisme d’un peuple oppresseur dont
le nationalisme consiste à opprimer un autre peuple, et le
nationalisme d’un peuple opprimé dont le nationalisme ne tend qu’à
se débarrasser du peuple oppresseur. Il n’y a pas d’équivalence
entre le nationalisme de l’Anglais qui veut continuer à gouverner
l’Irlande, et le nationalisme de l’Irlandais qui veut se
gouverner lui-même. Dans le premier cas, nationalisme signifie
impérialisme, dans le second il signifie indépendance.
Celui
qui, pour légitimer l’impérialisme de son peuple, dénonce comme
nationaliste la volonté d’indépendance du peuple qu’il opprime,
commet une hypocrisie répugnante.
Parlons
net !
Un
communiste doit avoir une mentalité communiste, non une « mentalité
algérienne ».
Il ne doit pas se croire supérieur à l’indigène parce qu’il
porte un chapeau au lieu d’un fez, ou qu’il invoque le nom de
Jésus au lieu d’Allah, il doit se rendre compte que vis-à-vis de
l’indigène il est un « privilégié »
dont le privilège ne repose en dernière analyse que sur la force
des baïonnettes, que sa situation de citoyen français le met par
rapport à l’indigène dans la même position « d’exploiteur »
que celle où se trouve son patron par rapport à lui, et cela doit
l’inciter à beaucoup de modestie. Cela devrait surtout l’empêcher
d’employer pour combattre les efforts d’émancipation politique
des indigènes les mêmes arguments « d’ignorance »,
« d’incapacité… »
que ceux qui sont journellement employés par la bourgeoisie pour
combattre ses propres efforts d’émancipation sociale.
Le
communisme, c’est la lutte pour l’émancipation des travailleurs,
de tous les
travailleurs, non pour la mise en « tutelle »
d’une partie d’entre eux sous la domination d’un prolétariat
ou d’un capitalisme étranger. N’aurait rien de commun avec le
communisme la politique qui ne tendrait qu’à obtenir des
augmentations de traitements et de privilèges pour des
fonctionnaires français de
l’Afrique du Nord, tout fiers de porter faux col et d’avoir été
à l’école.
Robert
Louzon
Bulletin
communiste : organe du Comité de la Troisième
Internationale, Paris,
1920-1933, Bibliothèque nationale de France, département
Philosophie, histoire, sciences de l’homme, 4 LC2 6655.
Qui
était Robert Louzon
En
Algérie et en Tunisie, il existait des
sections du Parti socialiste (SFIO), et après la scission de Tours
des sections du PCF y furent formées. Les trois fédérations
départementales d’Algérie se prononcèrent pour l’adhésion à
la Troisième Internationale par 34 mandats sur 41. Mais, selon Jacob
Moneta, en Afrique du Nord comme en d’autres pays coloniaux, « le
mouvement communiste… n’était rien d’autre qu’un
prolongement du PCF dans ces pays. Il était organisé par des
Français qui vivaient sur place et le nombre des membres autochtones
était peu important. Ils avaient dans l’organisation des fonctions
de second ordre. »[1] Selon
Charles-Robert Ageron, « les
sections d’Algérie comprenaient surtout des petits fonctionnaires
(employés de chemins de fer, des P.T.T. et de l’enseignement),
mais aussi des ouvriers et employés ainsi que des dockers et des
petits colons. »[2]
Les conditions
votées à Tours ne suffisaient
donc pas
pour transformer les partis communistes du Maghreb. Le
24 septembre 1922, un
rapport fut présenté au 2e Congrès Interfédéral Communiste
de l’Afrique du Nord, et adopté à l’unanimité.[3]
Le
rapport jugeait que
le texte de la huitième condition était « trop
général »
et négligeait les « conditions
particulières »
des différents pays. En Algérie, il
fallait reconnaître que « ce
qui caractérise la masse indigène, c’est son ignorance. C’est,
avant tout, le principal obstacle à son émancipation ». En
particulier, « le
fatalisme et le fanatisme religieux »
chez le prolétariat musulman s’expliquait par « l’emprise
des marabouts et des confréries religieuses sur une masse totalement
ignorante et éprise du merveilleux ». D’autre
part, les prolétaires
musulmans ne reconnaissaient nullement l’égalité de la femme et
« la
femme arabe elle-même se refuse à
comprendre
l’humiliation de son état ».
De plus, les syndicats indigènes étaient « à
peu près inexistants ».
Dans
cette situation lamentable, « l’émancipation
des populations indigènes d’Algérie ne pourra être que la
conséquence de la Révolution en France ».
Par conséquent, le but des communistes en Algérie n’était pas de
soutenir un mouvement révolutionnaire parmi la population indigène :
« La
propagande communiste directe auprès des indigènes algériens
du bled est actuellement inutile
et dangereuse.
Elle est inutile parce que ces indigènes n’ont pas atteint encore
un niveau intellectuel et moral qui leur permette d’accéder aux
conceptions communistes. » La priorité
était dès
lors l’activité
parmi les Européens syndiqués : « Le
premier but à atteindre est donc l’éducation des Européens avant
d’entreprendre directement l’éducation sociale du prolétariat
indigène. »
Le
rapport provoqua plusieurs réponses. Hadjali Abdelkader, un Algérien
habitant à Paris, qui avec Messali Hadj devait fonder l’Étoile
Nord-Africaine, répliqua qu’il fallait se rendre compte que « dans
toutes les colonies les travailleurs indigènes, grâce à la
Révolution russe, se réveillent et commencent à se grouper et
chercher leur voie, afin d’arriver à briser leur chaînes ». Le PCF
devait donc « faire
de la propagande et du recrutement parmi les indigènes et, pour y
parvenir, prendre comme plate-forme les revendications immédiates
des indigènes ».
Et pour conclure, il insista : « Il
est temps que le Communisme ne soit plus limité à quelques
Européens disséminés dans les colonies, alors qu’on laisse de
côté des millions de prolétaires indigènes qui nous tendent la
main. »[4]
Au
quatrième congrès de l’Internationale communiste, Léon
Trotsky a condamné avec mépris les positions des communistes
algériens : « Nous
ne pouvons pas tolérer deux heures ni deux minutes des camarades qui
ont une mentalité de possesseurs d’esclaves et qui souhaitent que
Poincaré les maintienne dans les bienfaits de la civilisation
capitaliste ![5] »
Une
troisième réponse — reproduite
ici — vint
de Robert Louzon. Le nom de Louzon n’est guère connu aujourd’hui.
Ni stalinien, ni trotskyste, il a eu peu de successeurs pour garder
vivant son souvenir. Mais ce fut un révolutionnaire remarquable, qui
parlait d’un sujet qui lui importait beaucoup.
Né
en 1882, Louzon
devint ingénieur au gaz.[6] Il
adhéra au Parti ouvrier socialiste révolutionnaire en 1900,
mais fut
très vite attiré
par les idées des syndicats. En 1906, il
prêta une somme d’argent à la
CGT pour l’achat de son immeuble de la rue de la Grange aux Belles.
Par conséquent, il
fut révoqué de la Société du Gaz de Paris où il était
ingénieur. Il participa dès le début aux réunions du noyau de
la Vie
ouvrière, aux
côtés de
Pierre Monatte et d’Alfred Rosmer.
En
1913, il
partit en Tunisie, où il s’occupait d’une exploitation agricole.
Il fit la guerre de 1914-18 comme capitaine de zouaves, puis revint
en Tunisie. En 1919, il
adhéra à la section de Tunis du Parti socialiste, laquelle vota,
après le congrès de Tours, l’adhésion à l’Internationale
communiste. Louzon devint secrétaire de la Fédération communiste
tunisienne.
Vers
la fin de 1921, la Fédération tunisienne lança un quotidien en
langue arabe, le premier quotidien communiste qui ait jamais paru en
langue arabe.
Pour Louzon, ce fut un projet qui lui tenait à cœur ;
il écrivit à
son ami Amédée Dunois : « II existe
ici un vaste mouvement indigène de revendications nationales. Ce
mouvement embrasse toutes les classes de la population, et il est
dans son ensemble extrêmement favorable au Parti communiste qu’il
regarde comme le seul parti pleinement sympathique à l’émancipation
politique des indigènes. Mais c’est là un mouvement national,
confus par conséquent, et qui comprend, à côté d’éléments
féodaux caractérisés, des éléments prolétariens également
caractérisés, et surtout une grande masse paysanne composée
de métayers
au cinquième, véritables
serfs attachés à la terre et crevant de faim. Il s’agit donc de
profiter à la fois de l’état général d’excitation produit
dans la population indigène par cette propagande nationale et de la
sympathie dont jouit le Parti communiste pour créer, à l’intérieur
du mouvement indigène, un mouvement de classe nettement ouvrier et
paysan. »[7] Lorsqu’il
s’agissait de la propagande communiste auprès des indigènes,
Louzon savait de quoi il parlait.
Mais
si Louzon reconnaissait l’importance d’un quotidien en langue
arabe, les autorités françaises le comprenaient très bien, elles
aussi. Au bout de huit jours, le
journal fut interdit. Pendant une dizaine de jours de nouveaux
quotidiens en arabe furent lancés, chaque jour sous un titre
différent ; tous furent interdits immédiatement. Puis un
décret soumit toute parution d’un journal en arabe à une
autorisation préalable.
En
1922, après la parution d’une brochure et d’un poème en arabe,
Louzon fut poursuivi pour « attaque
contre les droits et pouvoirs de la République française en
Tunisie ».
Il fut condamné à six
mois de prison, puis expulsé de Tunisie et il devint rédacteur
à L’Humanité.
Mais deux ans plus tard, il
démissionna du PCF après l’exclusion de ses amis Pierre Monatte
et Alfred Rosmer.
En
août 1936, il se
rendit au
Maroc afin
de contacter
les Marocains des comités d’action pour qu’ils tentent
d’empêcher Franco de recruter des Arabes dans le Rif. Puis, âgé
de presque cinquante ans, il se battit quelques mois au front aux
côtés des
républicains.
Après
la deuxième guerre mondiale, il
fit partie du noyau de la Révolution
prolétarienne.
Pendant la guerre froide, il
eut des désaccords avec son vieil ami Rosmer. Mais en 1960, animé
des mêmes principes révolutionnaires qu’en 1922, il signa, à
côté de Rosmer, le Manifeste
des 121 :
« Nous
respectons et jugeons justifié le refus de prendre les armes contre
le peuple algérien. Nous respectons et jugeons justifiée la
conduite des Français qui estiment de leur devoir d’apporter aide
et protection aux Algériens opprimés au nom du peuple français. La
cause du peuple algérien, qui contribue de façon décisive à
ruiner le système colonial, est la cause de tous les hommes
libres. »
Il mourut en 1976.
source :
contretemps
Retour à Bakou, l'arrivée mouvementée des délégués, racontée par Warren Beatty dans le film REDS , en hommage à JOHN REED
Retour à Bakou, l'arrivée mouvementée des délégués, racontée par Warren Beatty dans le film REDS , en hommage à JOHN REED
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