Stalingrad, récit d'une bataille, le point de vue de l'écrivain et celui de l'historien
Vassili Grosman et Jean Lopez, récits sur une bataille au bord du gouffre
2 points de vue sur une bataille, celui de l'historien Jean LOPEZ et celui de l'écrivain soviétique Vassili GROSSMAN.
Aucune recherche d'une fausse opposition entre le travail d'érudition de l'un et la mémoire de l'autre, correspondant de guerre de l'armée soviétique.
Grossman apporte pourtant un éclairage qui est absent de l'ouvrage de Lopez, celui de l'analyse politique.
Nous ne parlons pas ici de n'importe quelle guerre opposant 2 nations, nous parlons d'une guerre conçue comme une guerre d'anéantissement contre le peuple russe, une guerre visant à renverser par la pire violence les rapports sociaux issus de la Révolution d'Octobre.
Une guerre où les soldats russes combattaient en toute conscience pour leur survie biologique et celle de leur s familles, mais combattaient aussi contre l'asservissement auquel ils étaient promis. La puissance symbolique de la bataille de Stalingrad ne peut se résumer à sa simple dimension militaire, elle fut pour des millions d'hommes une victoire contre le fascisme et le nazisme.Je ne sais pas si la bataille de Stalingrad fut le tournant militaire majeur de la guerre, mais il le fut et le reste dans la conscience collective.
Vassili Grossman Pour une juste cause
..En février 1943, le nom de « Stalingrad » est sur toutes les lèvres et va devenir le symbole de la défaite allemande. Correspondant de L’Etoile rouge, Vassili Grossman assiste aux combats, dont il rend compte dans ses chroniques. C’est à ce moment-là qu’il entreprend sa fresque monumentale, Pour une juste cause, dont la seconde partie sera connue dans le monde entier sous le titre de Vie et destin. Grossman est alors un homme ébranlé par la guerre. Son fils aîné a été tué au front, sa mère a péri dans un ghetto… Terminé après la guerre, Pour une juste cause est publié, entre juillet et octobre 1952, dans la revue Novy Mir. Épopée d’une bataille emblématique, c’est un vivant portrait du peuple russe saisi dans sa souffrance et dans sa grandeur. Mais, derrière cette mosaïque de destins, ces affrontements sans merci, ces sacrifices héroïques, nous voyons déjà se profiler les questions vertigineuses de Vie et destin sur les totalitarismes de notre temps.
Déjà, à l'époque, avant la guerre, il était évident qu'Hitler avait triomphé de dix pays d'Europe occidentale presque sans effort, que l'énergie de ses troupes n'avait presque pas été entamée. D'immenses armées terrestres étaient concentrées à l'est de l'Europe. Sans cesse, de nouvelles configurations politiques et militaires provoquaient de nouveaux débats. La radio avait transmis la déclaration d'Hitler selon laquelle selon laquelle le sort de l'Allemagne et du monde était fixé pour mille ans....
En famille, dans les maisons de repos, dans les entreprises, on parlait guerre et politique. L'heure de la tempête avait sonné : les événements du monde s'étaient mêlés au destin de chacun, avaient fait irruption dans la vie des gens et on ne prenait plus de décision concernant les vacances d'été à la mer, l'achat de meubles ou d'un manteau d'hiver sans consulter les communiqués de la presse militaire, les discours et les études publiés dans les journaux. Les gens se disputaient souvent, remettaient en question leurs relations. On se disputait surtout au sujet de la puissance de l'Allemagne et de l'attitude à prendre envers cette puissance....
Tout comme l'avant-garde des ouvriers avaient suivi les combattants de la Révolution à l'époque du tsarisme, malgré les prisons et le bagne, malgré les fouets des Cosaques, des centaines d'hommes élevés par la Révolution marchaient aujourd'hui à travers les champs et les forêts, suivaient leur commissaires, surmontant la faim, le danger, la mort....
Toute la diversité bigarrée des armes, des insignes de grade, des uniformes, toutes différences d'âge et de visage avaient été effacées par une commune expression de douleur...
Peut-on exprimer les pensées de ces milliers d'hommes?
Peut-on saisir ce chaos où se mêlaient espoirs, peur, amours, regrets, affections de ces milliers d'êtres si différents, pères de famille et jeunes gens, citadins et paysans originaires de la Sibérie, des champs d'Ukraine et de Kouban, des villes et des bourgs ouvriers?
Peut-on saisir ce chaos où se mêlaient espoirs, peur, amours, regrets, affections de ces milliers d'êtres si différents, pères de famille et jeunes gens, citadins et paysans originaires de la Sibérie, des champs d'Ukraine et de Kouban, des villes et des bourgs ouvriers?
Jean Lopez Stalingrad, la bataille au bord du gouffre
Après nous avoir brillamment décrit de façon inédite la bataille de Koursk dans son ouvrage précédent, l’auteur nous entraîne cette fois à Stalingrad. Il nous livre une étude approfondie des opérations militaires menées de mai 1942 à mars 1943, au cours desquelles la destruction de la 6e armée allemande dans Stalingrad ne fut qu’une des nombreuses conséquences. Une fois de plus, Jean Lopez au travers de ses recherches dans les archives soviétiques, allemandes et anglo-saxonnes démonte les mythes et les légendes que la propagande et une certaine vision de l’histoire ont laissés dans nos esprits. Stalingrad n’est pas à proprement parler le tournant de la guerre (au contraire de l’année 1942 dans son ensemble), mais il s’agit bien d’un retournement majeur dans les opérations militaires sur le front de l’Est. Stalingrad est avant tout une accumulation d’erreurs tactiques de la part des Allemands. C’est également un échec majeur du renseignement allemand auquel les Soviétiques ont su dissimuler leurs préparatifs d’encerclement. Échec, également de la Luftwaffe à assumer un pont aérien suffisant pour 150 000 hommes, du fait de la trop grande dispersion de ses moyens sur d’autres fronts tels que l’Afrique du Nord. Mais c’est aussi l’inadaptation structurelle de l’armée allemande à une toute nouvelle forme de guerre : le combat urbain. Au contraire, les armées soviétiques montrent un nouveau visage et reprennent l’initiative. Staline a enfin réalisé qu’il doit faire confiance aux militaires (dans une certaine mesure) pour mener les opérations. L’Union soviétique, après les défaites du printemps (Kharkov, la Crimée), est au bord du gouffre (ce qui explique en partie le choix du sous-titre). Pourtant Stalingrad constitue le point de départ d’un lent redressement qui mènera les chars soviétiques à Berlin. Néanmoins, malgré ces succès, les Russes ont manqué une occasion inespérée de réaliser un « super Stalingrad » et sont souvent retombés dans leurs travers du début 1942. L’armée allemande a certes essuyé une cuisante défaite mais elle n’a perdu qu’une seule armée et reste un outil puissant en pleine transformation. L’auteur aborde également la question des relations de l’Allemagne vis-à-vis de ses alliés italiens, hongrois, et roumains. La défaite leur a été en grande partie imputée, alors que le commandement allemand savait pertinemment que les armées alliées qui gardaient les flancs de la 6e armée de Paulus étaient de médiocre valeur, sous-équipées et incapables de supporter une contre-offensive adverse. Ils n’ont rien fait pour remédier à cela. Enfin, Jean Lopez nous démontre que l’armée de Paulus n’avait aucune chance de rompre l’encerclement pour des raisons essentiellement logistiques et sanitaires. Le refus d’Hitler à la demande de tentative de sortie n’a finalement rien changé au sort qui était promis à la 6e armée allemande. En conclusion, il s’agit d’un excellent ouvrage, abordable par le plus grand nombre et dont la lecture aurait probablement été utile au commandant en chef des troupes russes à Groznyï en 1994.
Référence électronique
Luc Binet, « Jean Lopez, Stalingrad. La bataille au bord du gouffre », Revue historique des armées [En ligne], 258 | 2010, mis en ligne le 02 mars 2010, consulté le 18 septembre 2016. URL : http://rha.revues.org/6961
soldat soviétique brandisant le drapeau rouge, Stalingrad 1943 |
Vassili Grossman, correspondant de guerre et écrivain soviétique
Vassili Grossman |
« Un soleil d’hiver brille au-dessus des tombes collectives, au-dessus des tombes improvisées. Les morts dorment sur les hauteurs des collines, près des ruines des ateliers d’usine, dans des ravins et des combes, ils dorment là où ils se sont battus et leurs tombes se dressent près des tranchées, des casemates, des murs percés de meurtrières qui n’ont pas cédé à l‘ennemi, comme un monument majestueux à la simple loyauté payée au prix du sang. Terre sainte ! »
Stalingrad… Hitler qui visait les champs pétrolifères du Caucase, fut stoppé dans son élan par la ville portant le nom même de son frère-ennemi. Il y a 70 ans, l’actuelle Volgograd marqua le tournant de la guerre, et fut le symbole d’un formidable espoir dans la lutte contre l’Allemagne du IIIe Reich et la barbarie nazie. Stalingrad, symbole de l‘honneur d‘un peuple et du formidable effort qu‘il sut déployer lors de sa Grande Guerre Patriotique. Une volonté farouche qui le mènera jusqu‘à Berlin, et le 9 mai 1945 à recevoir une capitulation sans conditions de l'allemagne nazie, saluée par mille coups de canon tirés du Kremlin.
Ce sera alors la fin d’un cauchemar, une fin triomphale et amère, qui aura coûté à l’Armée Rouge 9 millions de morts, 18 millions de blessés, sans oublier la mort de 18 millions de civils, des milliers de villages ravagés, incendiés corps et âmes, et une somme incommensurable de souffrances et d’humiliations sous la botte nazie considérant les slaves comme des sous-hommes. Sur les 4 millions et demi de soldats qui seront faits prisonniers par les allemands seuls reviendront vivants 1 million huit cent mille soldats.
Dès le début de l’opération Barbarossa, l’avancée rapide des armées allemandes en terre russe durant le tragique été 41, avec son cortège d’horreurs, de monstruosités, d’inhumanité la plus extrême, à l’encontre des civils comme envers les millions de soldats faits prisonniers, avait laissé croire au IIIe Reich que les Russes seraient balayés d’un revers de cravache. C’est méconnaitre la volonté d’un Russe, méconnaitre la force d’âme de ce peuple capable de tout endurer, et méconnaitre l’Histoire. Hitler, comme Napoléon devra se heurter à l’ours slave.
Dès le début de l’opération Barbarossa, l’avancée rapide des armées allemandes en terre russe durant le tragique été 41, avec son cortège d’horreurs, de monstruosités, d’inhumanité la plus extrême, à l’encontre des civils comme envers les millions de soldats faits prisonniers, avait laissé croire au IIIe Reich que les Russes seraient balayés d’un revers de cravache. C’est méconnaitre la volonté d’un Russe, méconnaitre la force d’âme de ce peuple capable de tout endurer, et méconnaitre l’Histoire. Hitler, comme Napoléon devra se heurter à l’ours slave.
A ces hommes, soldats et ouvriers brûlant vif plutôt que de quitter leur poste défensif, à ces téléphonistes hommes et femmes, courant sous le feu pour réparer les fils endommagés. A ces estafettes traversant la ville avec une chance de survie minime, à ces infirmières de 18 ans, la musette et le cœur en bandoulière rampant auprès des blessés et tombant sous les balles allemandes. A ces aviatrices, surnommées par les allemands "les sorcières de la nuit", volant en rase motte dans leur avion de bois et de papier, à portée de tir, et larguant leurs bombes sur les lignes ennemies. A ces sapeurs chargés de nettoyer les maisons occupés par les troupes allemandes. A ces tireurs d’élite, chasseurs de l’Oural ou sibériens ayant quitté leur lointaine taïga natale pour défendre cette ville du Sud, à tous ces soldats, comme ces fusiliers de la Garde, traversant la Volga sous les bombes, face à la ville en flammes, en route pour l’enfer. A ces officiers aussi, comme Tchouikov, Emerenko, Vatoutine, Rodimtsev, Voronov... et puis Rokossovski…polonais, soldat d’honneur talentueux, intelligent, victime des purges de 37, ayant survécu aux tortures du NKVD de Béria, et qui fut tiré de sa geôle en 40 pour pallier au manque cruel d‘officiers, victimes expiatoires de la paranoïa stalinienne. Gravement blessé devant Moscou, il sera promu commandant du front du Don par la Svatska fin 42 et désigné comme responsable de la liquidation finale de l’ennemi. Il tenta de négocier une reddition allemande, envoya par deux fois des émissaires dans les lignes allemandes afin de limiter la casse. En vain. Paulus refusa.
Et ce fut à l'aube du 10 janvier que l'ultime offensive "Cercle" fut lancée. A 6h05, l'ordre d'ouvrir le feu fut donné, et durant 55 minutes, 7000 canons, mortiers et katioucha roulèrent tel un tonnerre apocalyptique. D'une façon si intense, qu'un officier d'artillerie soviétique, le colonel Ignatov, déclara qu'il n'y avait que deux façons de sortir d'un pareil déchainement : mort ou fou. La 6e Armée affamée, épuisée, reçut le coup de grâce, malgré une résistance acharnée et même extraordinaire si l'on considère son état de faiblesse physique et matérielle. Acharnement qui coûta au cours des trois premiers jours de l'offensive 26 000 soldats aux armée soviétiques du front du Don, ainsi que la moitié de leurs chars.
C’est à tous ceux là, illustres ou inconnus, à qui je rend hommage, …
Et l’imposant monument juché sur le Kourgan Mamaï rappelle à tous, cette bataille historique. La Mère Patrie veille sur ses enfants tombés pour elle, il y a 70 ans. Et je les salue.
Que la terre leur soit légère…
Dans son rapport, le chef d'état major de la division relata l'incendie des réservoirs, le torrent de feu qui s'était jeté sur le Q.G. de l'armée ; il informa que la division n'avait aucune liaison avec Tchouïkov, que selon toute apparence il y avait des survivants, car on devinait, à travers les flammes et la fumée, la présence d'hommes sur un monticule au bord du fleuve ; mais on ne pouvait les approcher ni par la rive ni en barque, car la Volga était en feu. Batiouk était parti avec la section de défense rapprochée en direction de l'incendie, pour tenter de détourner le pétrole en flammes et d'aider les hommes sur la rive à se sortir du feu.
Vassili Grossman
Pour une juste cause,carnets de guerre
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