jeudi 29 décembre 2016

Syrie: une libanisation fabriquée; Un document pour comprendre Compte-rendu d'une mission d'évaluation auprès des bélligérants

Syrie: une libanisation fabriquée; Un document pour comprendre

Compte-rendu d'une mission d'évaluation auprès des bélligérants

Présentation

L'intérêt de ce document est multiple, il est un outil précieux pour tous ceux qui cherchent à comprendre les origines de la crise syrienne.
En premier lieu, il date de Janvier 2012, ce qui peut sembler diminuer sa portée, mais présent l'avantage infini de se concentrer sur les premiers mois de cette guerre et ainsi nous appoprter des informations précieuses sur les causes premières de cette tragédie qui entre dans sa sixième année.
Le second point est qu'il est rédigé par une commission d'enquête indépendante qui a pu se rendre en Syrie et rencontrer l'ensemble des parties en présence.
Le dernier point, qui me semble capital, est  que tous les points de vue exprimés par les différents acteurs sont restitués sans coupure ni altération et ainsi de nous laisser notre liberté de jugement, ce qui est un principe rarement respecté dans la quasi totalité des articles parus sur ce sujet



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Syrie: une libanisation fabriquée. Un document pour comprendre. Compte-rendu d’une mission d’évaluation auprès des bélligérants

Paris,Janvier 2012

mercredi 28 décembre 2016

La véritable histoire de Charles Martel : l'Histoire contre la récupération identitaire

La véritable histoire de Charles Martel : l'Histoire contre la récupération identitaire



Depuis le fameux 11 janvier, dont la droite voudrait faire une "Journée d’unité nationale et de lutte contre le terrorisme", le nom de Charles Martel, "sauveur de la chrétienté", est venu, dans bien de réseaux liés à l’extrême-droite, se rappeler au bon souvenir non pas de la France "pays des droits de l’homme", mais de la France "fille aînée de l’Église".

Comme si la théorie du "choc des cultures" s’était muée en celle d’une "guerre de religions", ce que Jean-Marie Le Pen, toujours aussi lourdement calembourdesque, a résumé d’un cri : "Je suis Charlie Martel !"

C’est précisément dans cette mouvance lepéniste que Robert Ménard a lancé sa énième provocation, en commençant par criminaliser les petits écoliers biterrois sur la seule base de la "consonance musulmane" de leurs prénoms ! Dans ma tribune, publiée sur Le Plus de l'Obs le 12 mai ("Robert Ménard, changez vitre de patronyme"), j’ai dit ce que je pensais de ce forfait antirépublicain. Cela m’a valu nombre d’incriminations avec, à l’appui, des arguments puisés dans les pages d’un Deutsch métronome promu rewriter du roman national. Comme tant d’autres thèses scolaires, celle de notre auteur-baladin illustre brillamment cette leçon de Marc Bloch (dans son "Apologie pour l’Histoire") :

"Aussi bien que des individus, il a existé des époques mythomanes […] C’est d’un bout à l’autre de l’Europe, comme une vaste symphonie de fraudes. Le moyen âge, surtout du VIIIe au XIIe siècle, présente un autre exemple de cette épidémie collective… Comme si, à force de vénérer le passé, on était naturellement conduit à l’inventer."



Charles Martel, "dilapidateur et enragé tyran"

C’est pour répondre à ces nostalgiques orphelins de Charles Martel, comme à notre "rapporteur-sans-frontières" des thèses d’extrême droite, que je tiens à fournir, ici, quelques éléments d’information sur la véritable nature du "tombeur des Sarrasins", et, par la même occasion, sur l’histoire de Béziers (ville dont Robert Ménard a chargé Renaud Camus, le théoricien du Grand Remplacement, d’écrire l’histoire)…

Pour en finir, donc, avec cette légende qui fait de Charles Martel le "sauveur de la chrétienté", précisons d’emblée que le chef franc, connu de son vivant comme le plus grand "spoliateur des biens de l’Église", n’a jamais bouté les Arabes hors de "France", pour trois raisons : primo, ce pays n’existait pas encore en tant que tel ; secundo, c’est son fils qui réussira à reprendre Narbonne, trois décennies après la mythique bataille ; tertio, la présence sarrasine est attestée dans les Alpes et dans le Jura au moins jusqu’au du Xe siècle.

Tout comme la légende du "Marteau de Dieu", celle du "spoliateur des biens de l’Eglise" aura, en son temps, la peau dure. De Liège (ou plutôt, la ville n’existant pas encore, de Tongres-Maastricht, ancien fief du père de Charles, Pépin d’Herstal, et dont l’évêque, saint Lambert, fut assassiné sur ordre de l’oncle maternel de Charles) à Nîmes, en passant par Toulouse et Narbonne, l’homme est dénoncé comme aucun grand de ses contemporains ne l’aura été : "Ô Charles Martel, dilapidateur et enragé tyran !", s’écriera Jean Boldo d’Albenas, l’un des pères du protestantisme nîmois [1]. Sans doute, cet auteur a-t-il des raisons de fustiger le Franc, qui avait ruiné sa ville (Nîmes) avant d’y mettre le feu : c’était en 739, alors que Charles Martel remontait de Narbonne, tout dépité de n’avoir pas réussi à en déloger les Sarrasins, malgré un long siège éprouvant…

Plus cohérente est la thèse de Nicolas Germain Léonard, historien de la ville de Liège, qui nous explique en quoi et pourquoi Martel méritait une telle charge : "Il donnait à ses officiers les évêchés et les abbayes. Les biens de l’Église devenaient héréditaires ; on en formait la dot des filles qu’on mariait. Pépin d’Herstal avait enrichi le clergé, Charles le dépouilla." [2]

Evidemment, après la victoire de Poitiers, la cause est entendue : les biens de l’Église furent "l'instrument de la délivrance de l'Europe, et de la victoire de l'Évangile sur le Coran" ! [3]Mais que durant toute l’existence de Martel (688-741), à Limoges, Cahors, Auch, Saint-Lizier, Autun, Orange, Avignon, Carpentras, Marseille, Toulon, Aix, Antibes, Béziers, Nîmes, Lodève, Uzès, Agde, Maguelonne, Carcassonne, Elne, il y eut une interruption dans la succession des évêques ; voilà qui en dit long sur l’état d’abandon de la "Fille aînée de l’Église" !

Désordres, ruines, assassinats 

D’autres griefs ternissent la renommée de Charles. Ceux, notamment, qui font de lui le persécuteur d’Eucher, l’évêque d’Orléans, et de Guidon, le futur saint Guy. Abbé de Fontenelle, ce dernier subit le supplice suprême pour une imaginaire conspiration… Désordres, ruines, assassinats : des forfaits qui poursuivront le chef franc jusqu’à sa mort.

Mais c’est le sort réservé à l’évêque d’Orléans, le futur saint Eucher, qui assombrira le plus sa renommée. Accusé d’avoir comploté contre Martel, l’évêque "fut envoyé en exil avec tous ses proches, (puis) transféré dans le monastère de Saint-Tron où il mourra en 738" [4]. Conclusion de Flodobert, l’évêque de Noyon et de Tournai (894-966) : "Ce bâtard né d'une servante n'était audacieux qu'à faire le mal envers les Églises du Christ."

De ce martyre de saint Eucher, une légende naîtra plus d’un siècle après, qui sera consignée dans le compte-rendu d’un concile tenu en 858 à Quierzy, où il est fait mention d’un songe d’Eucher. Extrait :

"Nous savons en effet que saint Eucherius, évêque d’Orléans fut entraîné dans le monde des esprits. Entre les choses que Dieu lui montra, il reconnut Karl exposé aux tourments dans le plus profond de l’enfer." Commentaire de Jean Deviosse, biographe de Charles Martel : "Le texte ne laisse place à aucune équivoque. Karl, spoliateur résolu des biens de l’Église, est reconnu coupable à part entière." [5]

La même justification sera reprise par Jules Michelet, pour qui "les agressions de Karl contre le patrimoine de l’Église faisaient douter qu’il fût chrétien" ! [6]

Mais, disions-nous, les mythes ont la peau dure. Et après tout, des spoliations, quel envahisseur n’en commet pas ? Du IXe au XIe siècles, la renommée de Charles en souffrira. Etrangement, c’est aux siècles des Croisades que le nom de Martel va retrouver son aura, celle de tombeur des Sarrasin et de… sauveur de la chrétienté : comme si, écrira Chateaubriand, "Les Maures, que Charles Martel extermina, justifiaient les Croisades !" [7].

Les crimes de Martel dans le Sud (de la France)

Sur le terrain, la réalité était tout autre. Ce que Charles visait en fait, et depuis longtemps, c’est la conquête de l’Aquitaine (dont la capitale était alors Toulouse et non Bordeaux). Tant que cette région était menacée par les Sarrasins, il s’était contenté d’attendre son heure. Mais en apprenant avec stupéfaction la nouvelle du mariage du gouverneur musulman de Narbonne avec la fille du duc d’Aquitaine, Martel comprit très vite le risque que pouvait représenter une telle alliance. Celle-ci n’arrangeait pas non plus Abd er-Rahman, le maître de Cordoue (l’Espagne arabo-andalouse était déjà minée par les révoltes berbères contre le pouvoir arabe), ce qui l’amena à supprimer le "traître" gouverneur, un Berbère, avant d’offrir la fille du duc au calife de Damas… Si Charles Martel arrêta effectivement les Arabes à Poitiers, il ne réussit donc pas à les déloger de la Narbonnaise, qu’il attaqua par deux fois, sans succès.

La légende qui colle au nom de Martel doit être revue et corrigée sur un autre point : jamais les Francs n’ont eu de considération pour les habitants du sud de la Gaule. L’homme "gallo-romain", et particulièrement le citoyen de Toulouse, trop raffiné aux yeux du Franc fruste et inculte, était traité d’homunculus.

Furieux d’avoir échoué par deux fois à Narbonne, Martel va se venger sur les populations locales (chrétiennes) à qui il reproche de ne pas l’avoir accueilli en sauveur. Sur le chemin du retour (vers ses terres du Nord), il se venge sur Agde, Béziers, Maguelone, Nîmes (dont il brûle les arènes !). Selon Ernest Sabatier, notre cher historien de la ville de Béziers :

"Les Franks pillent à outrance dans tous les lieux où ils portent leurs pas ; ils désarment la population chrétienne, qui, ayant conservé en partie la civilisation romaine, voyait en eux des Barbares, et leur était suspecte. Forcés d’abandonner le siège de Narbonne, et voulant empêcher les Sarrasins de prendre ailleurs dans le pays une position solide, ils rasent les fortifications de Béziers, d’Agde et d’autres cités considérables. Agde et Béziers sont même livrées aux flammes, leurs territoires dévastés, les châteaux sont démolis. Enfin, en s’éloignant, les soldats de Charles-Martel emmènent, outre un grand nombre de prisonniers sarrasins, plusieurs otages choisis parmi les chrétiens du pays." [8]

Ces dévastations seront toutes mises sur le compte des Sarrasins, comme le sera un demi-siècle plus tard la mort de Roland à Roncevaux (des historiens ont, enfin, démontré que l’attaque fut le fait des Basques et non des Arabes), et comme le seront cinq siècles plus tard d’autres exactions, et là, c’est toujours l’historien de la ville de Béziers qui témoigne : "Plusieurs dépôts ont éprouvé des vicissitudes qui ont rendu assez rares les documents dont j’aurais pu profiter. Les anciennes archives de Béziers furent, elles, consumées par l’incendie qu’y allumèrent les croisés en 1209..." !

Plusieurs chroniques l’attestent (Continuation de Frédégaire, Isidore de Beja, Chronique de Moissac, El Maqqari [9]) : les cités susceptibles d’être ou de devenir des repaires pour les musulmans sont ravagées. Maguelone est rasée, Montpellier n’est pas épargnée, et encore moins Nîmes :

"Pour punir la ville qui a fait appel aux Arabes, Charles démolit les portes, abat les murailles et tente d’incendier les Arènes sous prétexte qu’elles sont aménagées en ouvrage défensif. Sur son ordre, ses guerriers entassent toute une forêt dans l’Amphithéâtre et y mettent le feu" [10] 

Un retour du refoulé historique

Voilà la vraie nature et l’œuvre du héros de tant de générations d’écoliers de France ! Celui-là même dont le nom figura jusqu’à la veille de l’élection présidentielle de 2002, sur une affiche électorale : "732 Martel, 2002 Le Pen". En attendant, sans doute, de figurer sur le fronton de la mairie de Béziers, à l’approche de 2017 ?…

Mais comment peut-on imaginer que Béziers puisse, aujourd’hui et en connaissance de cause, dire merci à celui qui mit toute la région à feu et à sang ? Et si, au contraire, comme par un retour du refoulé historique, des Biterrois de souche décidaient, un jour, de répondre à Robert Ménard en manifestant en masse, et sous le seul slogan qui vaille et qui soit digne de la mémoire de leurs ancêtres : "Je ne suis pas Charlie Martel !" ?


 [1] Jean Boldo d’Albenas, Discours historial de l’antique et illustre cité de NîmesNota bene : toutes les références, accompagnant cette tribune, se trouvent  détaillées dans mon essai : Abd er-Rahman contre Charles Martel (Perrin, 2010).
 [2] N. G. Léonard, Histoire ecclésiastique et politique de l’Etat de Liège, 1801.
 [3] François Laurent, Le Moyen-âge et la réforme1866.
[4] Vita sancti Eucherii, Aurelianensis episcopi, n°8 et 10, cité dans Jean Deviosse, Charles Martel,Tallandier 1978. Epistolae patrum synodi Carisiacensis, année 858, cité dans Jean Deviosse, CharlesMartel.
 [5]  Cf. J. Deviosse, Charles Martel.
 [6] Michelet, Histoire de France, cité dans S. Guemriche, Abd er-Rahman contre Charles Martel (Perrin 2010).
 [7] Chateaubriand, Génie du christianisme, dans Oeuvres complètes, éd. Furne, 1865.
 [8] E. Sabatier, Histoire de la ville et des évêques de Béziers, Paris 1854, cité dans Salah Guemriche,Abd er-Rahman contre Charles Martel (Perrin 2010).
 [9] El Maqqari, manuscrit arabe de la BNF, ancien fonds, réf. dans Abd er-Rahman contre Charles Martel.
 [10] Jean Deviosse, Charles Martel.

Charles Martel, une récupération identitaire

Détail couverture C. Martel
La figure de Charles Martel et la bataille de Poitiers opposant en 732 les guerriers du maire du palais franc aux forces de l’émir de Cordoue Abd al-Rahmân sont devenus aujourd’hui un objet historique brûlant. Il suffit pour s’en convaincre de faire quelques recherches sur les réseaux sociaux. Sur Twitter, le maire de Béziers Robert Ménard (apparenté Front National) déclare ainsi le 1er décembre 2015 vouloir « retrouver notre France, celle de Louis XIV, de Napoléon, et celle, si le ministère de l’Intérieur me l’autorise, de Charles Martel. »
Pour nombre de militants d’extrême droite, la bataille de Poitiers marque en effet la victoire d’une chrétienté unie face à une invasion musulmane de grande ampleur, l’une des premières étapes du choc entre les civilisations occidentale et islamique dont nous serions, selon eux, en train de revivre un point culminant. Dans leur esprit, les migrants de religion musulmane (ou supposés tels), présents parfois depuis plusieurs générations dans les pays européens, seraient comparables aux guerriers défaits à Poitiers en 732 et leur présence ferait partie d’un plan d’invasion.

Que nous dit l’histoire ?

Pourtant, à bien regarder les faits, le conflit entre Charles Martel et Abd al-Rahmân n’incarne en rien le point d’orgue d’une lutte séculaire. Les Francs ont passé plus de temps à se battre entre eux ou contre les Saxons païens que contre les armées du califat omeyyade. Du côté de l’empire islamique, il n’est sans doute pas question d’une invasion planifiée, mais d’un raid organisé pour piller les biens des grands monastères de l’Aquitaine et de la vallée de la Loire (Tours notamment). De même, lorsqu’il y a conquête, comme en Espagne entre 711 et 720, l’entreprise obéit moins à des motifs religieux qu’à des impératifs militaires. Trop peu nombreuses, les troupes musulmanes, épargnent les églises (non par tolérance, mais par intérêt) et n’hésitent pas à s’allier avec des aristocrates chrétiens locaux.
Crédits Bruno Bartkowiak et Léa Hermenault
Par crainte des velléités conquérantes de Charles Martel, le patrice Mauronte de Provence appelle ainsi à l’aide l’émir de Cordoue, accueillant à Avignon des troupes musulmanes en 737. Plus tard, Charlemagne et Pépin le Bref entretiendront les meilleurs rapports avec les califes abbassides de Bagdad pour contrer leurs adversaires communs de Cordoue et de Constantinople.
De tels rapprochements sont possibles parce qu’il n’est pas question, au VIIIe et au IXe siècle, de guerre de religion ou de jihad. Méconnaissant totalement les pratiques et les dogmes de l’islam, les chrétiens latins considèrent ainsi les musulmans comme de simples païens, à l’instar des populations germaniques et nordiques. Au moins jusqu’au XIVe siècle, les chroniqueurs n’hésitent pas à attribuer à toutes ces populations le terme générique de « sarrasins ».
De leur côté, les musulmans préfèrent le plus souvent laisser les chrétiens vivant dans le califat pratiquer leur religion : ces populations paient un impôt spécial et leur assure une rentrée fiscale supplémentaire. D’ailleurs, il est frappant de constater que l’auteur mozarabe narrant la bataille de Poitiers dans une chronique écrite vingt ans après les faits peine à définir les camps en présence et n’emploie pas pour cela les termes de « chrétiens » ou de « musulmans ». Il use au contraire de néologisme de son cru, comme « européens » ou de mots vagues, comme « gens du Nord » ou « Arabes ».

La bataille de Poitiers, minimisée puis redécouverte

La bataille de Poitiers ne marque donc pas une étape d’une guerre entre civilisation ou religion. Les contemporains d’ailleurs la classent vite au rang des affrontements secondaires, au profit par exemple de la bataille de Fontenoy-en-Puisaye en 841 qui provoque la partition de l’Empire carolingien. Charles Martel n’est pas plus chanceux. Longtemps associé à un usurpateur organisant un coup de force contre les rois mérovingiens légitimes, il est représenté dès le IXe siècle comme un homme n’hésitant pas à piller les biens de l’Église pour financer ses troupes. Pour ce crime, le maire du palais est souvent dépeint, tout au long du Moyen Âge et bien après, en train de brûler en enfer.
« Bataille de Poitiers », Grandes Chroniques de France, milieu du xive siècle, BL ms. Royal 16 G VI, folio 117 verso
Il faut attendre le XVIIIe siècle pour que la bataille de Poitiers refasse surface dans les mémoires. Voltaire en tête, les philosophes des Lumières analysent l’histoire comme une succession de civilisations porteuses de progrès. Ils opposent ainsi l’Islam médiéval à un féodalisme occidental perçu comme une société obscurantiste. Aussi regrettent-ils la victoire de Charles Martel qui aurait empêché l’Europe d’accéder aux sciences de l’Orient. Peu après la Révolution française, Chateaubriand s’inscrit en faux et affirme le contraire, notamment dans Le Génie du Christianisme (1802). Pour lui, la victoire de Poitiers a sauvé les mondes des ténèbres de l’islam. Ce propos trouve quelques échos en France, notamment lorsqu’il s’agit de justifier les débuts de la conquête de l’Algérie. C’est en effet dans le courant des années 1830 que le roi Louis-Philippe commande à Carl Von Steuben une peinture consacrée à la bataille – peinture encore aujourd’hui exposée dans la galerie des batailles du château de Versailles.
CC Patrick Mignard pour Mondes Sociaux
Mais cette poussée mémorielle n’est que de courte durée. Du Second empire jusqu’au début des années 1980, très peu d’hommes politiques se réclament de Charles Martel (et aucun n’en fait sa référence historique centrale), aucune statue ne lui est consacrée dans les villes de France et aucun roman ne lui est dédié. Dans la conscience historique des Français, le maire du palais passe loin, très loin derrière les figures médiévales de Jeanne d’Arc, saint Louis, Louis XI, du Guesclin ou Clovis. Il n’est même pas présent dans une partie des manuels scolaires (à la différence des personnes suscitées). Le Petit Lavisse, célèbre ouvrage écrit pour les élèves de cours élémentaire, l’ignore. Et, lorsqu’on aborde la bataille de Poitiers, il n’est pas question pour l’école républicaine de lui donner une dimension religieuse ou civilisationnelle. Pour les « hussards noirs de la République » et leur obsession de la défense nationale, Charles Martel n’a fait que repousser une invasion étrangère – comme Vercingétorix.

Nouveaux usages politiques et mémoriels

L’extrême droite française elle-même délaisse pendant longtemps le vainqueur de Poitiers et se consacre à la personne de Jeanne d’Arc à partir du début du XXe siècle. Puis l’amalgame entre la crainte du communisme et la peur d’une vassalisation de l’Europe et de la France par les Etats-Unis, conduit intellectuels et dirigeants d’extrême droite à effectuer un virage à partir des années 1960. Ils cherchent alors dans les régimes nationalistes arabes, mais aussi dans les premiers États islamistes comme l’Iran, des modèles et des alliés. Dans ces conditions, Charles Martel est difficilement mobilisable.
Tout change à partir des années 1990 : la chute du bloc soviétique bouleverse les représentations géopolitiques de nombreux penseurs conservateurs. Analysant les conflits en ex-Yougoslavie comme une nouvelle guerre de religion entre chrétiens et musulmans, Samuel Huntington affirme ainsi qu’après une parenthèse de cinquante ans durant laquelle les idéologies ont dominé la planète, les vieilles civilisations (qu’il assimile à des confessions religieuses) seraient en passe d’entrer en conflit ouvert. Point de départ de sa théorie du choc des civilisations, Huntington fait remonter cet affrontement millénaire à la bataille de Poitiers.
charlie-martel
Rapidement diffusées, ses théories bouleversent la pensée de l’extrême droite occidentale : abandonnant peu à peu l’antisémitisme et l’anticommunisme qui la cimentaient jadis, elle se refonde en développant un discours islamophobe, aidée en cela par la montée des courants djihadistes. Cette nouvelle culture réactionnaire n’a cette fois aucun mal à trouver en Charles Martel une figure d’identification. Des hommes politiques français, mais aussi suisses, allemands et américains dressent ainsi un parallèle biaisé entre la bataille de Poitiers et la situation contemporaine. Juste après les attentats deCharlie Hebdo, Jean-Marie Le Pen affirme par exemple qu’il est « Charlie Martel ». Mais cet usage dépasse le simple cadre politique. En effet, nombre de personnalités médiatiques se piquant de faire de l’histoire – Franck Ferrand, journaliste à Europe 1 ou l’acteur Lorànt Deutsch – reprennent sans aucune distance critique le récit de l’extrême droite, n’hésitant pas à parler d’une invasion de plusieurs centaines, voir millions d’individus, tout en employant le terme de choc de civilisation.
Cette utilisation mémorielle massive en appelle vite une autre, notamment en France au sein des populations d’origine nord-africaine, qui vise soit à minimiser l’importance de la bataille, soit à affirmer que les quelques soldats de l’émirat de Cordoue brièvement installé dans le sud de la France constituent la première étape de l’immigration actuelle. Plus largement, qualifier un homme politique de « Charles Martel », comme le fait le groupe de rap IAM en 2011 à l’encontre de Jean-François Copé, revient maintenant à l’accuser (à tord ou à raison) d’islamophobie. De leur côté, certaines personnalités de gauche comme Jean-Luc Mélenchon, opposant le mythe au mythe, répètent à l’envi les analyses de Voltaire, affirmant ainsi que la bataille de Poitiers à marqué la défaite de la civilisation face à la barbarie féodale.
Entre ces mémoires vives, le travail de l’historien consiste à dépassionner le débat, afin que chacun comprenne que la situation actuelle n’a rien à voir avec celle du VIIIe siècle. Hélas, la prochaine campagne pour les élections présidentielles risque d’être l’occasion de mésusages forts de l’imagerie de la bataille de Poitiers et de la figure de Charles Martel, notamment par l’extrême droite. Une raison qui justifie, plus que jamais, l’investissement des historiens dans la vie de la Cité, afin de mieux étudier le passé pour en libérer le présent.

mardi 27 décembre 2016

Sandro Botticelli, peintre et chorégraphe des Vierges et des déesses


Sandro Botticelli, peintre et chorégraphe des Vierges et des déesses


: Sandro Botticelli portrait de Simonetta Vespucci






En préparant cette présentation de Botticelli et en consultant les différentes sources qui m'ont servies à sa composition, il m'est revenu à l'esprit ces vers d’un poème de Nerval

" modulant tour à tour sur la lyre d'Orphée
les soupirs de la sainte et les cris de la fée "
(el desdichado)

Les pinceaux ont remplacé la lyre d'Apollon, la sainte a le visage de la Vierge et la fée s'est incarnée en Vénus, mais il ne faut voir dans l’œuvre de Botticelli aucune opposition, mais plutôt 2 figures complémentaires de la grâce
Cette unité a d'abord un visage, celui de cette Simonetta Vespucci, la plus belle femme de son temps,ce visage que l'on retrouve dans tant de ses tableaux, comme dans ce portrait de Piero di Cosimo



Surtout, nous ne devons pas chercher une tension entre une vision païenne et une autre chrétienne, Botticelli, comme tous les hommes de son temps et même un peu plus qu'eux, avait une foi profonde et lui et ses contemporains ne voyaient dans l'Antiquité païenne qu'une anticipation de l’avènement du christianisme.
Sa Vénus a la pudeur et l'innocence d'une sainte et ses saintes sont drapées à l'antique, dans un mouvement qui dévoile les corps autant qu'il les dérobe à la vue.
Enfin, il faut renoncer à toute tentative de classification, aujourd'hui dépassée, de Botticelli dans une sorte de mouvement ascendant ou de marche triomphale qui mènerait de la barbarie du Moyen âge à la lumière de la Renaissance.
Les courants artistiques, littéraires et philosophiques sont enchevêtrés de manière bien trop complexes pour qu'une simple progression chronologique puisse en rendre compte

Jacques Belhassen

I/ Botticelli ou l'art de la chorégraphie et de l'intensification du mouvement,

« Dès 1905, l’auteur [Warburg parle de lui-même] avait été conforté dans ses tentatives par la lecture du texte d’Osthoff sur la fonction supplétive dans la langue indo-germanique ; il y était démontré, en résumé, que certains adjectifs ou certains verbes peuvent, dans leurs formes comparatives ou conjuguées, subir un changement de radical, sans que l’idée de l’identité énergétique de la qualité ou de l’action exprimées en souffrît ; au contraire, bien que l’identité formelle du vocable de base eût de fait disparu, l’introduction de l’élément étranger ne faisait qu’intensifier la signification primitive On retrouve, mutatis mutandis, un processus analogue dans le domaine de la langue gestuelle qui structure les œuvres d’art , quand on voit par exemple une Ménade grecque apparaître sous les traits de la Salomé dansante de la Bible, ou quand Ghirlandaio, pour représenter une servante apportant son panier de fruits, emprunte très délibérément le geste d’une Victoire figurée sur un arc de triomphe romain  »


Domenico Ghirlandaio - Birth of St John the Baptist détail








Bref, c’est l’étrangeté qui prend ici le pouvoir d’intensifier un geste présent en le vouant au temps fantomal des survivances. C’est l’étrangeté qui, dans la collision anachronique du Maintenant (la servante) et de l’Autrefois (la Victoire), ouvre au style son futur même, sa capacité à changer et à se reformer entièrement


Le pas de la nymphe

Que fait, dans La Naissance de Vénus, l’Heure (ou la Grâce) avec sa robe dans le vent et sa grande cape mouvementée ? Un iconographe attentif à la storia dira qu’elle accueille Vénus sur le rivage et lui tend un vêtement pour couvrir sa nudité. Warburg dira, de plus, qu’elle danse à la droite du tableau. Que font Zéphyr et Chloris (ou Aura) ? Warburg dira – outre qu’il sont à l’origine d’une brise poussant la coquille de Vénus vers le rivage – qu’ils dansent, enlacés, fussent-ils en l’air. Que fait Vénus elle-même ? Elle danse immobile devant nous, c’est-à-dire qu’elle fait de sa simple pose une chorégraphie du corps exposé. Que font les personnages du Printemps ? Ils dansent tous. Que font les servantes de Ghirlandaio dans le cycle de Santa Maria Novella, à part verser de l’eau dans une cruche ou apporter un plateau de fruits ? Elles dansent aussi, centrales à la dynamique de l’image, autant qu’elles passent, marginales à la distribution des personnages dans le thème iconographique.

 Birth of St Mary in Santa Maria Novella in Firenze by Domenico Ghirlandaio détail






« Bien exprimés, les mouvements des cheveux et des crinières, des branchages, des feuillages et des vêtements sont agréables dans la peinture. Je désire même que les cheveux exécutent les sept mouvements dont j’ai parlé plus haut ; qu’ils s’enroulent donc comme s’ils allaient se nouer, qu’ils ondulent dans l’air en imitant les flammes, que tantôt ils se glissent comme des serpents sous d’autres cheveux, tantôt se soulèvent de côté et d’autre. […] Comme nous voulons que les étoffes se prêtent aux mouvements (cum pannos motibus aptos esse volumus), alors que par nature elles sont lourdes, pendent constamment vers la terre et refusent de se plier, il sera bon de placer dans la peinture les visagesde Zéphyret d’Auster en train de souffler entre les nuages, dans un angle de l’histoire, pour pousser tous les tissus dans la direction opposée. On aura ainsi cet effet gracieux que les côtés des corps que touche le vent, parce que les étoffes sont plaquées par le vent, apparaissent presque nus sous le voile des étoffes. Sur les autres côtés, les étoffes agitées par le vent se déploieront parfaitement dans l’air

Botticelli Le Printemps détail


Léon Battista Alberti 1404-1472. Traité de la peinture



Aérienne mais essentiellement incarnée, insaisissable mais essentiellement tactile. Tel est le beau paradoxe de Ninfa, dont le texte du De pictura révèle d’ailleurs fort bien la mise en œuvre technique : il suffit, explique Al­berti, de faire souffler un vent sur une belle figure drapée. Dans la partie du corps qui reçoit le souffle, l’étoffe est plaquée contre la peau, et de ce contact surgit quelque chose comme le modelé du corps nu. De l’autre côté, l’étoffe s’agite et se déploie librement, presque abstraitement, dans l’air. C’est la magie du drapé : les Grâces de Botticelli comme les Ménades antiques réunissent ces deux modalités antithétiques du figurable : l’air et la chair, le tissu volatile et la texture organique. D’un côté, le drapé s’élance pour lui seul, créant ses propres morphologies en volutes ; d’un autre côté, il révèle l’intimité même – l’intimité mouvante-émouvante – de la masse corporelle. Ne pourrait-on dire que toute chorégraphie tient entre ces deux extrêmes ?



Sandro Botticelli, virtuosité et syncrétisme

On en a fini avec l’idée que les époques historiques développent chacune une vision du monde monolithique, dont l’art serait la forme symbolique. Nous ne croyons plus, depuis longtemps, que Botticelli est typique d’une culture qui inaugure les “Temps modernes” en rompant avec le Moyen Âge, même si la Vénus ne peut se comprendre sans la culture néo-platonicienne qui est à la mode à la cour de Laurent de Médicis à son époque.
Ce qu’il y a d’intéressant avec Botticelli, c’est que sa peinture montre précisément que son époque, son milieu, sont traversés de multiples temporalités, en même temps. En fait, Laurent et ses proches adoraient la tapisserie flamande, les icônes byzantines, tout autant que les antiquités romaines et les textes grecs. C’est une culture du “syncrétisme” , comme le montre l’écrit phare de Marsile Ficin, le philosophe le plus influent de la cour de Laurent, La Vénus, avec sa planéité de tapisserie, ses traits de contour ciselés comme de l’orfèvrerie gothique, montre aussi cette combinaison avec
une iconographie antique
Léonard de Vinci disait déjà que Sandro ne savait pas dessiner les paysages. Beaucoup de théoriciens de l’art, depuis la Renaissance, à l’instar de Vasari, affirment que les artistes ne peuvent pas être bons en tout, sauf exception (comme Raphaël), mais ont un talent sélectif. Cette idée (qui débouche sur une théorie du style personnel, au XVIIe siècle), repose avant tout sur la conviction que l’auteur est responsable de tous les paramètres de son œuvre.
Mais parler de « cohérence » d’une œuvre est une chose différente, car rien ne dit en effet que cette cohérence se situe au niveau de l’auteur. Comme Foucault ou d’autres l’ont étudié, l’auteur n’est pas “l’unique cause” d’une œuvre, il n’en est qu’une fonction, qui n’apparaît que dans un certain contexte (la “modernité” pour le dire vite).
La première tâche est donc de se départir d’une approche trop psychologisante de l’œuvre d’art et de distinguer ce qui relève du style propre à l’artiste, son « inconscient manuel » comme dit Barthes, et de ce qui relève de la cohérence interne de l’œuvre elle-même.
Le second travail consiste à trouver les critères appropriés pour que l’œuvre apparaisse cohérente. Là surgit une difficulté : la cohérence est une appréciation subjective qui résulte d’un jugement, d’une appréciation. Une œuvre d’art n’est pas cohérente objectivement, en soi, il n’y a que des interprétations successives et subjectives de cette cohérence. La fortune critique de Botticelli, avec ses revirements à 180°, nous le montre assez bien.
Je ne veux pas pour autant renvoyer chacun à ses jugements de goût personnels, sans quoi l’histoire de l’art comme exercice critique n’aurait pas beaucoup d’intérêt. L’exercice critique de l’histoire de l’art consiste selon moi à théoriser ses jugements de goût, à leur donner une raison. Il consiste aussi à comprendre les théories qui, parfois implicitement, justifient les jugements des autres.

Sandro Botticelli, la déploration du Christ


Si on reprend la controverse Léonard/Botticelli, le jugement négatif formulé par le premier à l’encontre des paysages du second s’appuie effectivement sur une théorie de la peinture implicite ici : pour Léonard peinture et observation du réel participent du même mouvement intellectuel, non pas qu’il faille simplement imiter la nature en peinture, mais imiter les forces de la nature et les effets mouvants de la perception, qui font que le monde apparaît en perpétuelle transformation. La nature est le lieu où s’observe le mieux, chez Léonard, tous ces changements, et c’est pourquoi ses paysages sont flous et poétiques. La nette simplicité des paysages de Botticelli ne pouvait donc lui convenir.
Mais si je veux formuler la théorie qui sous-tend ma compréhension de la cohérence de l’esthétique de Sandro, je dirais qu’elle repose sur l’idée de virtuosité, exercice de la virtù, de l’excellence. Celle-ci se manifeste chez lui non par un art du trompe-l’œil ou du flou poétique, mais par l’adoption d’un trait d’orfèvre, l’orfèvrerie étant à ses yeux (comme à ceux des frères Pollaiolo par exemple) l’art le plus virtuose, le plus prestigieux. D’où les vaguelettes biffées comme des coups de scalpel, d’où le contour escarpé de la côte, qui se montre moins comme imitation d’un littoral en perspective que comme forme abstraite et linéaire à la surface du tableau.



Botticeli, autoportrait








Quelques liens pour mieux connaître Botticelli



Pour une étude plus savante



dimanche 25 décembre 2016

http://denis-langlois.fr/Les-partageux-ne-meurent-jamais, deuxième partie

Archives d'Histoire, la mobilisation en France contre la première guerre du Golfe Les archives de Maître Henri Langlois, avocat et militant pacifiste ( deuxième partie )





Alors que la guerre est imminente, la mobilisation contre la guerre prend une nouvelle ampleur.
Des militants de toutes tendances s'engagent ensemble dans la préparation d'une immense manifestation
Le sentiment d'urgence et d'angoisse saisit tout le monde face à l'horreur prévisible annoncée par le déploiement de l'armada américaine
Mitterrand, avec le soutien du Parti socialiste, a choisi clairement le parti de la guerre et de l'engagement auprès des américains




Dans le Golfe, les préparatifs de guerre s’accélèrent. De nouveaux porte-avions américains arrivent sur place. Le total des forces américaines se monte maintenant à près d’un demi-million de soldats. A Bagdad, les dernières ambassades occidentales encore ouvertes ferment leurs portes et évacuent leurs diplomates. Tous les Français se trouvant dans le Golfe sont priés de rentrer. On distribue des masques à gaz à ceux qui vivent en Jordanie. Les risques de guerre provoquent l’explosion des primes d’assurance des compagnies aériennes.
Javier Pérez de Cuellar, tente une dernière démarche en se rendant à Bagdad et rencontre Saddam Hussein. Aucun résultat. "Si vous êtes croyants, priez ", conclut le secrétaire général de l’ONU.



A Paris, le jeudi 10 janvier, l’appel des 75 organise une nouvelle Conférence de presse au Café du Croissant, afin d’annoncer la manifestation qui doit avoir lieu deux jours plus tard. Aucune commune mesure avec la précédente. Les journalistes se pressent dans la salle trop petite. Toutes les grandes chaînes de télévision sont représentées. L’ambiance est animée mais grave.
Denis Langlois qui préside rappelle que "C’est aux peuples que les puissants du monde ont déclaré la guerre, ce sont les peuples qu’ils trouveront massivement sur leur chemin. Aujourd’hui, les sinistres nuages de la guerre sont à nouveau au-dessus de nos têtes, la tuerie montre son mufle hideux, seule la sagesse et la volonté des opinions publiques peuvent encore empêcher la guerre. Plus que quelques jours pour stopper l’engrenage de la mort, mais tous ensemble, unis et solidaires, nous les citoyens, nous allons sauver la paix."



C’est un RAZ-DE-MARÉE. Jamais les pacifistes n’auraient pensé qu’ils seraient aussi nombreux. 200.000 à Paris. Un demi-million dans toute la France.
Il y avait tellement de monde au départ de la manifestation que le cortège a eu du mal à démarrer derrière une gigantesque banderole "Non à la Guerre". Les grands médias sont obligés de saluer cette mobilisation.
Les 75 avaient demandé à être reçu en délégation par le Président Mitterrand. Au début de la manifestation, un émissaire de l’Elysée est venu dire à Denis Langlois que la délégation serait reçue par le conseiller diplomatique Hennequin déjà rencontré. Réponse nette : Mitterrand ou personne. Devant l’ampleur du cortège l’émissaire revient un peu plus tard. Revirement : Le Président est d’accord pour recevoir la délégation. Il demande seulement la liste de ceux qui la composeront. Une vingtaine de noms sont donnés.
A la fin de la manifestation, les barrages de police s’ouvrent pour laisser passer la délégation. Mais, devant les grilles de l’Elysée, l’émissaire fait savoir que le Président ne recevra que quelques-uns des 75 dont les noms sont cochés. Il s’agit uniquement de personnalités que le Président connaît personnellement comme Gisèle Halimi qui fut députée apparentée socialiste et nommée par Mitterrand ambassadrice de France auprès de l’UNESCO. Denis Langlois et les principaux animateurs des 75 n’y figurent pas. Rapide conciliabule. Tout le monde sera reçu ou personne. L’émissaire fait à nouveau l’aller-retour. Un ou deux noms supplémentaires, mais toujours pas Denis Langlois. La décision des 75 est unanime et définitive, c’est non. (Par la suite, des ministres et conseillers de Mitterrand révéleront que ce jour-là devant l’ampleur des manifestations le Président a montré une vive inquiétude, ce qui explique ses atermoiements.)

Archives d'Histoire, la mobilisation en France contre la première guerre du Golfe Les archives de Maître Henri Langlois, avocat et militant pacifiste

Archives d'Histoire, la mobilisation en France contre la première guerre du Golfe
Les archives de Maître Henri Langlois, avocat et militant pacifiste






A l'attention des militants et de tous ceux qui se demandent quelle est la position juste face à la guerre
Un dossier très complet sur la mobilisation en France contre la première guerre du Golfe de 1991
Beaucoup de documents joints, de copies d'articles de presse, de photos des manifestations
Ce dossier rend compte aussi, de façon très honnête de l'évolution des rapports entre les différentes composantes du mouvement d'opposition à la guerre
La position de Mitterrand et de son gouvernement Rocard-Chevénement votant la guerre et déclarant vouloir la poursuivre jusqu'à la destruction de tout le potentiel militaro industriel de l'Irak..
Où l'on découvre, déjà, le soutien de Libé et le monde à la guerre et les tentatives, déjà aussi, de la CFDT, des Verts, d'Harlem Désir et quelques autres pour s'opposer à la mobilisation contre la guerre..
Et surtout, l'ampleur de la mobilisation, en France et dans le monde, 200 000 à Paris et des manifestations monstres dans le monde
Une belle page d'Histoire, riche d'enseignements pour le présent

Première partie

Appel des 75 contre la guerre du Golfe (Koweit Irak 1990-1991). 1


Le 2 août 1990, estimant qu’il doit être indemnisé pour la guerre de 8 ans qu’il a menée contre l’Iran à la demande notamment des Etats-Unis, de la France et de l’Arabie saoudite, le dictateur irakien Saddam Hussein envahit le Koweit, pays voisin que l’Irak considère comme une province irakienne, et proclame son annexion. Il pense avoir pour cela le feu vert des Etats-Unis.
Le 3 août, le Conseil de sécurité de l’ONU adopte une résolution qui condamne cette invasion et exige que l’Irak retire toutes ses forces déployées au Koweit. Un embargo est décidé. Dès le 6 août, le président américain George Bush donne l’ordre d’engager l’opération militaire "Bouclier du désert". Aussitôt les premières troupes aéroportées commencent à se masser en Arabie saoudite. (En trois mois les forces américaines se monteront à 200.000 soldats, un millier d’avions, 700 chars d’assaut et 80 navires de combat. Par la suite, on ira jusqu’à 535.000 hommes).
Le 25 août, le Conseil de sécurité de l’ONU autorise l’usage de la force pour faire respecter l’embargo.
C’est une véritable armada qui se rassemble face à l’Irak. Trente-quatre pays au total fournissent des troupes. Le 15 septembre, le président français Mitterrand décide l’envoi dans le Golfe d’un corps expéditionnaire qui sera porté à 13.000 hommes : la "force Daguet".

L'article haineux de Libération contre l'unité qui commence à se réaliser contre la guerre, signé par un certain...Michel Aphatie



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