lundi 6 mars 2017

Brûlées vives, noyées, torturées..Quand les femmes étaient des sorcières et les catins du Démon.et quand Shakespeare était seul à les défendre

Brûlées vives, noyées, torturées..Quand les femmes étaient des sorcières et les catins du Démon.et quand Shakespeare était seul à les défendre

Représentation d'un bûcher à Derenburg en 1555


C'est l'une des pages les plus sombres de l ' Histoire de L' Europe et elle ne se déroule pas au cœur des supposés ténèbres du Moyen âge, mais en pleine Renaissance et dans ce Siècle que par un abus de langage, on a appelé le Grand Siècle.Chacun y prit sa part, la Sainte Église apostolique et romaine, mais aussi Luther et Calvin, les monarques et les Princes, mais aussi la bourgeoisie naissante qui faisait ses débuts dans sa longue carrière de crimes
Philosophes et humanistes, pas une voix ne se leva, si ce n'est pour se joindre au chœur de ceux qui appelaient au meurtre...à l'exception d'un seul, mais lui était le plus grand, William Shakespeare, nous en reparlerons..




Dans toute l'Europe et un peu plus dans le royaume de France et le monde germanique, on dressa des bûchers et on jeta dans les flammes, des femmes, des jeunes filles, parfois encore dans l'enfance.
Des tortures atroces et innommables leur furent infligées et il se trouvait toujours des témoins pour dire les avoir vues , chevauchant des balais ou s'accouplant avec des démons.
Une longue période de terreur, presque exclusivement dirigée contre les femmes et menée par des furieux, des fanatiques et pas mal de salauds.
L'inspiration venait de loin et embrassait bien des courants aux motivations sordides ou proches de la démence.



D'abord, cette haine du christianisme contre les femmes, contre la sexualité, contre toute manifestation du désir qu'ont les êtres de s'accoupler et du plaisir qu'ils peuvent y prendre. Nos bons pères et nos Apôtres n'y voyaient que crime et lubricité, œuvre du démon, la beauté elle même était suspecte et pouvait vous mener au supplice, faire tourner les têtes et chavirer les cœurs et les sens était une preuve suffisante que vous étiez la fiancée du Démon.
Mais la haine des prêtres n'aurait pu suffire à justifier toutes ces abominations infligées à des malheureuses, il faut toujours chercher dans le crime sa source première qui fut ici le plus sordide intérêt, comme il le fut dans ce même temps pour l'extermination des Indiens de l'Amérique et des Noirs de l'Afrique.
Un monde basculait, le vieux monde médiéval et dans les villes et les campagnes, il ne suffisait pas d'accumuler son or ou d’accroître ses terres, mais il fallait s'assurer le contrôle du ventre des femmes, dépositaire de sa succession, il fallait s'assurer de la légitimité de sa descendance, être certain qu'un solide gaillard ne soit pas venu, quand vous étiez au champ ou à la boutique, trousser les jupons de la belle.
L' Église avait aussi une rancune qu'elle avait gardé et un compte qu'elle devait régler avec ce monde paysan qui lui tenait tête depuis des siècles, avec ses vieilles croyances aux esprits et aux fées, son imaginaire peuplé de superstitions et de croyances
Le vieux monde païen avait survécu à des siècles de persécutions et les dieux oubliés des grecs et des romains menaient encore une joyeuse sarabande
Nos bons paysans étaient parvenus à un compromis raisonnable entre une dévotion sincère à la Vierge trônant dans leur Église et la joie de conter fleurette dans les foins ou  sous les bosquets.
Les femmes étaient aussi un peu sorcières, guérisseuses et accoucheuses, elles connaissaient bien des secrets, celui des plantes qui guérissent, de la formule magique qui protège..
C'est tout cela qu'il fallait briser, c'est ce monde qu'il fallait faire disparaître et contre lequel le prêtre, le noble et le bourgeois déchaînèrent une horrible guerre.

les sorcières de Macbeth


Au milieu de cette horreur, une voix s’éleva, celle de Shakespeare, il ne signa aucun manifeste, n'éleva aucune protestation ,mais il fit le plus utile et ce qu'il savait faire le mieux. Ce monde condamné, il lui donna toute sa place dans ses pièces, toutes entières peuplées de fées, de lutins et de sorcières.
Les critiques n'ont pas assez insisté sur le fait fondamental que le merveilleux shakespearien était un merveilleux totalement et exclusivement païen.
Les Français, du haut de leur suffisance, ont toujours jugé avec mépris le théâtre shakespearien que le grand Voltaire, qui rata ici une occasion de se taire, jugeait ordurier et plein d'immondices.
Ce que ne comprenaient pas les admirateurs de Racine et Corneille et ce qu'ils condamnaient, c'était l'exubérance joyeuse, la vitalité d'un monde plein de bruits et de fureur, mais aussi de jurons et de malédictions , de paroles folles ou inspirées, de visions effrayantes et d'instants sublimes, en un mot, tout ce qui manque à nos Classiques, si raides dans leurs convenances qu'ils semblent semblent avoir écrit avec un bâton planté dans le cul.
La femme shakespearienne a aussi un statut bien plus convenable que nos pauvres gourdes de Chimène ou Bérénice, c'est Lady Macbeth qui soutient le courage chancelant de son mari, elle qui ne tremble pas devant le crime et dans les comédies, comme 'Beaucoup de bruit pour rien'Béatrice tient tête à Bénédict dans une savoureuse joute amoureuse

 c'est la reine Mab qui t'a rendue visite ...


Le monde de Shakespeare est peuplé de femmes libres et souvent fortes et surtout ses personnages échappent à l'enfermement moral du monde chrétien.
Dans la plus émouvante de ses pièces, c'est un amour réciproque qui lie Juliette et Roméo, un amour qui se nourrit de doux mots, mais aussi d' étreintes et de baisers, de désir amoureux , de la joie de contempler un visage aimé ou d'unir ses lèvres à celle de l'être aimé et tout cela dans une innocence purement païenne
Roméo et Juliette sont 2 fois coupables, coupables de s'aimer avec tant de force et coupables de bousculer le vieil ordre patriarcal, celui du mariage imposé que Juliette refuse et celui de l'allégeance au clan, au sang , allégeance qui dresse l'une contre l'autre les 2 familles
Finissons donc cette chronique dédiée aux femmes par cet hommage à Shakespeare et à ces 2 amants qui pour toujours et à travers les siècles seront le symbole du triomphe de l'amour contre toutes les vieilles malédictions et les imprécations d'un Dieu farouche qui dans toute sa méchanceté ne triomphera jamais de la gloire d'Aphrodite

Dès que les jours nous offrent le doux aspect du printemps, dès que le zéphyr captif recouvre son haleine féconde, le chant des oiseaux que tes feux agitent annonce d'abord ta présence, puis, les troupeaux enflammés bondissent dans les gras pâturages et traversent les fleuves rapides tant les êtres vivants, épris de tes charmes et saisis de ton attrait, aiment à te suivre partout où tu les entraînes! Enfin, dans les mers, sur les montagnes, au fond des torrents, et dans les demeures touffues des oiseaux, et dans les vertes campagnes, [1,20] ta douce flamme pénètre tous les cœurs, et fait que toutes les races brûlent de se perpétuer. Ainsi donc, puisque toi seule gouvernes la nature, puisque, sans toi rien ne jaillit au séjour de la lumière, rien n'est beau ni aimable, sois la compagne de mes veilles, et dicte-moi ce poème que je tente sur la Nature, pour instruire notre cher Memmius. Tu as voulu que, paré de mille dons, il brillât toujours en toutes choses: aussi, déesse, faut-il couronner mes vers de grâces immortelles.

Lucrèce, De la nature des choses, Livre I Hymne à Vénus


« ... on lui a brûlé des plumes soufrées sous les bras et autour du cou.... On l'a montée au plafond par les mains liées derrière le dos... Cela a duré trois ou quatre heures. On l'a laissé pendu là-haut et le maître des tortures est allé prendre son déjeuner. Et quand il est revenu, il lui a versé de l'eau-de-vie sur le dos et a allumé. Il lui a passé des poids et l'a remontée. Après cela, on lui a mis une planche non rabotée pleine d'échardes sur le dos et on l'a remonté au plafond par les mains. Ensuite, on lui a vissé les deux gros orteils et les deux pouces. On lui a mis un bâton en travers des bras, on l'a pendue ainsi et on l'a laissé environ un quart d'heure. Elle est passée d'un évanouissement à l'autre. On lui vissa les jambes à la hauteur du mollet A la troisième torture cela s'est passé plus durement, puisqu'elle a été battue avec des fouets de cuir sur les lombes, si bien que le sang a transpercé la chemise. On l'a remonté, on lui a de nouveau vissé les pouces et les gros orteils, puis on l'a laissé assise sur la sellette, tandis que le bourreau et les autres membres du tribunal sont allés déjeuner vers dix heures et jusqu'à environ une heure après midi. »



Des liens utiles


Et l'hommage de Victor Hugo à Shakespeare

L’autre, Shakespeare, qu’est-ce ? On pourrait presque répondre : c’est la Terre. Lucrèce est la sphère, Shakespeare est le globe. Il y a plus et moins dans le globe que dans la sphère. Dans la sphère il y a le Tout ; sur le globe il y a l’homme. Ici le mystère extérieur ; là, le mystère intérieur. Lucrèce, c’est l’être ; Shakespeare, c’est l’existence. De là tant d’ombre dans Lucrèce ; de là tant de fourmillement dans Shakespeare. L’espace, le bleu, comme disent les allemands, n’est certes pas interdit à Shakespeare. La terre voit et parcourt le ciel ; elle le connaît sous ses deux aspects, obscurité et azur, doute et espérance. La vie va et vient dans la mort. Toute la vie est un secret, une sorte de parenthèse énigmatique entre la naissance et l’agonie, entre l’œil qui s’ouvre et l’œil qui se ferme. Ce secret, Shakespeare en a l’inquiétude. Lucrèce est ; Shakespeare vit. Dans Shakespeare, les oiseaux chantent, les buissons verdissent, les cœurs aiment, les âmes souffrent, le nuage erre, il fait chaud, il fait froid, la nuit tombe, le temps passe, les forêts et les foules parlent, le vaste songe éternel flotte. La sève et le sang, toutes les formes du fait multiple, les actions et les idées, l’homme et l’humanité, les vivants et la vie, les solitudes, les villes, les religions, les diamants, les perles, les fumiers, les charniers, le flux et le reflux des êtres, le pas des allants et venants, tout cela est sur Shakespeare et dans Shakespeare, et, ce génie étant la terre, les morts en sortent. Certains côtés sinistres de Shakespeare sont hantés par les spectres. Shakespeare est frère de Dante. L’un complète l’autre. Dante incarne tout le surnaturalisme, Shakespeare incarne toute la nature ; et comme ces deux régions, nature et surnaturalisme, qui nous apparaissent si diverses, sont dans l’absolu la même unité, Dante et Shakespeare, si dissemblables pourtant, se mêlent par les bords et adhèrent par le fond ; il y a de l’homme dans Alighieri, et du fantôme dans Shakespeare. La tête de mort passe des mains de Dante dans les mains de Shakespeare ; Ugolin la ronge, Hamlet la questionne. Peut-être même dégage-t-elle un sens plus profond et un plus haut enseignement dans le second que dans le premier. Shakespeare la secoue et en fait tomber des étoiles. L’île de Prospero, la forêt des Ardennes, la bruyère d’Armuyr, la plate-forme d’Elseneur, ne sont pas moins éclairées que les sept cercles de la spirale dantesque par la sombre réverbération des hypothèses. Le que sais-je ? demi-chimère, demi-vérité, s’ébauche là comme ici. Shakespeare autant que Dante laisse entrevoir l’horizon crépusculaire de la conjecture. Dans l’un comme dans l’autre il y a le possible, cette fenêtre du rêve ouverte sur le réel. Quant au réel, nous y insistons, Sheakespeare en déborde ; partout la chair vive ; Shakespeare a l’émotion, l’instinct, le cri vrai, l’accent juste, toute la multitude humaine avec sa rumeur. Sa poésie, c’est lui, et en même temps, c’est vous. Comme Homère, Shakespeare est élément. Les génies recommençants, c’est le nom qui leur convient, surgissent à toutes les crises décisives de l’humanité ; ils résument les phases et complètent les révolutions. Homère marque en civilisation la fin de l’Asie et le commencement de l’Europe ; Shakespeare marque la fin du moyen âge. Cette clôture du moyen âge, Rabelais et Cervantes la font aussi ; mais, étant uniquement railleurs, ils ne donnent qu’un aspect partiel ; l’esprit de Shakespeare est un total. Comme Homère, Shakespeare est un homme cyclique. Ces deux génies, Homère et Shakespeare, ferment les deux premières portes de la barbarie, la porte antique et la porte gothique. C’était là leur mission, ils l’ont accomplie ; c’était là leur tâche, Ss l’ont faite. La troisième grande crise humaine est la Révolution française ; c’est la troisième porte énorme de la barbarie, la porte monarchique, qui se ferme en ce moment. Le dix-neuvième siècle l’entend rouler sur ses gonds. De là, pour la poésie, le drame et l’art, l’ère actuelle, aussi indépendante de Shakespeare que d’Homère.



vendredi 3 mars 2017

Napoléon Bonaparte, ombres et lumière d'un Empire, paroles d'écrivains.

Napoléon Bonaparte, ombres et lumière d'un Empire, paroles d'écrivains.

Un seul homme était en vie alors en Europe; le reste des êtres tâchait de se remplir les poumons de l'air qu'il avait respiré. Chaque année, la France faisait présent à cet homme de trois cent mille jeunes gens ; et lui, prenant avec un sourire cette fibre nouvelle arrachée au cœur de l'humanité, il la tordait entre ses mains et en faisait une corde neuve à son arc ; puis il posait sur cet arc une de ces flèches qui traversèrent le monde, et s'en furent tomber dans une petite vallée d'une île déserte, sous un saule pleureur.C'est par se mots de Musset que nous pouvons mesurer ce que fut la gloire de cet homme, les haines et les passions qu'il suscita..

Léon Belhassen

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 Quelle belle tête il a ! C’est pur, c’est grand, c’est beau comme l’antique ! … C’est un homme auquel on aurait élevé des autels dans l’antiquité… Bonaparte est mon héros. (Jacques-Louis David)
Il n’a pas vingt-huit ans et il a sur la tête toutes les gloires, celles de la guerre, celles de la paix, celles de la modération, celles de la générosité. (Talleyrand)
Plus la vérité tout entière sera connue, plus Bonaparte sera grand. (Stendhal)
Que Bonaparte soit un grand homme, et comme il n’y a pas un second en Europe dans tous les sens, guerrier, militaire, politique, je défie même un ennemi de le nier. Ce sera le plus grand homme de notre siècle. (Marie-Caroline, reine de Naples)
Toutes nos gloires d’autrefois se réunirent […] et firent leur dernière explosion. (François-René de Chateaubriand)
Monté au trône, il y fit asseoir le peuple avec lui, roi prolétaire, il humilia les rois et les nobles dans ses antichambres ; il nivela les rangs, non en les abaissant, mais en les élevant : le niveau descendant aurait charmé davantage l’envie plébéienne, le niveau ascendant a plus flatté son orgueil. (François-René de Chateaubriand)
Mon admiration a été grande et sincère alors même que j’attaquais Napoléon avec le plus de vivacité. (François-René de Chateaubriand)
Il a fendu les rochers du Simplon, et planté ses drapeaux sur les capitales de l’Europe, relevé l’Italie prosternée depuis tant de siècles. (François-René de Chateaubriand)
Cet homme, dont j’admire le génie et dont j’abhorre le despotisme. (François-René de Chateaubriand)
Bonaparte n’est plus le vrai Bonaparte, c’est une figure légendaire composée des lubies du poète, des devis du soldat et des contes du peuple. (François-René de Chateaubriand)
Moins de vingt ans après, le chef de la nouvelle armée française, Bonaparte, prit aussi congé des ses compagnons ; tant les hommes et les empires passent vite ! tant la renommée la plus extraordinaire ne sauve pas du destin le plus commun ! (François-René de Chateaubriand)
Né dans une île pour aller mourir dans une île, aux limites de trois continents ; jeté au milieu des mers où Camoëns sembla le prophétiser en y plaçant le génie des tempêtes. (François René de Chateaubriand)
Le souffle de vie le plus puissant qui jamais anima l’argile humaine. (François-René de Chateaubriand)
Vivant il avait manqué le monde. Mort il le conquiert. (François-René de Chateaubriand)
Ce siècle avait deux ans ! Rome remplaçait Sparte, – Déjà Napoléon perçait sous Bonaparte, – Et du premier consul déjà, par maint endroit, – Le front de l’Empereur brisait le masque étroit. (Victor Hugo)
La France était pour les nations un magnifique spectacle. Un homme la remplissait alors et la faisait si grande qu’elle remplissait l’Europe. […] Il était au-dessus de l’Europe comme une vision extraordinaire. (Victor Hugo)
Vous n’adimrez pas Napoléon ! Mais qui admirez-vous donc ? (Victor Hugo)
Qui pourra jamais expliquer, peindre ou comprendre Napoléon ? Un homme qu’on représente les bras croisés, et qui a tout fait ! Qui a été le plus beau pouvoir connu, le pouvoir le plus concentré, le plus mordant, le plus acide de tous les pouvoirs ; singulier génie qui a promené partout la civilisation armée sans la fixer nulle part ; un homme qui pouvait tout faire, parce qu’il voulait tout ; prodigieux phénomène de volonté, domptant une maladie par une bataille, et qui cependant devait mourir d’une maladie dans un lit après avoir vécu au milieu des balles et des boulets ; un homme qui avait dans la tête un code et une épée, la parole et l’action. (Balzac)
J’appartiens à cette génération , née avec le siècle, qui nourrie de bulletins de l’Empereur, avait toujours devant les yeux une épée nue et vint la prendre au moment même où la France la remettait dans le fourreau des Bourbons. (Vigny)
Rien d’humain ne battait sous ton épaisse armure. (Alphonse de Lamartine)
L’excès du génie, l’excès de la fortune, l’excès du malheur : voilà pour l’historien, qui fait trembler, à l’aspect de ces proportions colossales. (Norvins)
On parlera de sa gloire sous les chaumes bien longtemps l’humble toit dans cinquante ans ne connaîtra pas d’autre histoire. (Beranger)
Ainsi, à l’âge de vingt-sept ans, Bonaparte tient d’une main l’épée qui divise les états, et de l’autre la balance qui pèse les rois. Le Directoire a beau lui tracer sa voie, il marche dans la sienne : s’il ne commande pas encore, il n’obéit déjà plus. (Alexandre Dumas père)
Napoléon, en arrivant sur la scène du monde, vit que son rôle était d’être l’exécuteur testamentaire de la Révolution. (Napoléon III)
Napoléon est si grand qu’on dirait que l’empire du monde ne fut pour lui qu’un pis-aller. (Léon Bloy)
Napoléon, c’est un professeur d’énergie ! (Maurice Barrès)
Il me semble que Napoléon serait content de tous les livres dont il fait le sujet. C’était un auteur. Au silence, il préfère toujours l’éreintement. (Jacques Bainville)
Qu’est-ce donc que cette chose dont parle Alexandre lorsqu’il évoque sa destinée, César sa chance, Napoléon son étoile ? Qu’est-ce donc sinon la confiance qu’ils avaient tous les trois dans leur rôle historique ? (Charles de Gaulle)
La gloire ne se marchande pas. (Charles de Gaulle)
Napoléon n’aurait pas pu être ambassadeur ou archevêque, il ne pouvait être que Napoléon. (André Malraux)
Laissez tranquille mon Empereur. (Goethe)
Plus Napoléon sera connu, plus il sera grand. (Goethe)
Dieu est avec Napoléon ! Napoléon est avec nous ! (Mickiewicz)
J’ai vu passer l’âme du monde à cheval. (Hegel)
Mais pour les cœurs ardents, le Repos est Enfer,
Ta perte vint de là ; il existe dans l’âme
Une vigueur, un feu qui se sent à l’étroit
Dans la prison du corps et prétend dépasser
L’équilibre permis des médiocres désirs. (Byron)
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Le destin merveilleux s’est accompli : Le grand homme s’est éteint. (Pouchkine)
Cet homme merveilleux, envoyé de la Providence,
Instrument fatal d’un ordre mystérieux,
Ce cavalier devant qui s’inclinaient les rois. (Pouchkine)
Cet homme du destin, ce voyageur guerrier,
Devant qui les rois s’abaissèrent,
Ce cavalier sacré par le pape,
Qui disparut comme l’ombre de l’aurore. (Pouchkine)
Pourquoi as-tu été envoyé ?
Est-ce du bien ou du mal que tu fus l’exécuteur ?
Pourquoi t’es-tu éteint, pourquoi as-tu brillé ?
Visiteur merveilleux de la terre. (Pouchkine)
Son regard merveilleux, vivant, insaisissable, Tantôt perdu dans les lointains, tantôt irrésistible, Brillait comme le feu de la guerre, comme un éclair. (Lermontov)
Les dieux ne purent souffrir en lui leur semblable. (Grillparzer)
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Comment finir sans revenir à la Confession d'un enfant du siècle de Musset, à ce texte dont je n'ai pu soustraire une seule ligne
Pendant les guerres de l'Empire, tandis que les maris et les frères étaient en Allemagne, les mères inquiètes avaient mis au monde une génération ardente, pâle, nerveuse. Conçus entre deux batailles, élevés dans les collèges aux roulements des tambours, des milliers d'enfants se regardaient entre eux d'un œil sombre, en essayant leurs muscles chétifs. De temps en temps leurs pères ensanglantés apparaissaient, les soulevaient sur leurs poitrines chamarrées d'or, puis les posaient à terre et remontaient à cheval.
Un seul homme était en vie alors en Europe ; le reste des êtres tâchait de se remplir les poumons de l'air qu'il avait respiré. Chaque année, la France faisait présent à cet homme de trois cent mille jeunes gens ; et lui, prenant avec un sourire cette fibre nouvelle arrachée au cœur de l'humanité, il la tordait entre ses mains et en faisait une corde neuve à son arc ; puis il posait sur cet arc une de ces flèches qui traversèrent le monde, et s'en furent tomber dans une petite vallée d'une île déserte, sous un saule pleureur.
Jamais il n'y eut tant de nuits sans sommeil que du temps de cet homme ; jamais on ne vit se pencher sur les remparts des villes un tel peuple de mères désolées ; jamais il n'y eut un tel silence autour de ceux qui parlaient de mort. Et pourtant jamais il n'y eut tant de joie, tant de vie, tant de fanfares guerrières dans tous les cœurs ; jamais il n'y eut de soleils si purs que ceux qui séchèrent tout ce sang. On disait que Dieu les faisait pour cet homme, et on les appelait ses soleils d'Austerlitz. Mais il les faisait bien lui-même avec ses canons toujours tonnants, et qui ne laissaient de nuages qu'aux lendemains de ses batailles.
C'était l'air de ce ciel sans tache, où brillait tant de gloire, où resplendissait tant d'acier, que les enfants respiraient alors. Ils savaient bien qu'ils étaient destinés aux hécatombes ; mais ils croyaient Murat invulnérable, et on avait vu passer l'empereur sur un pont où sifflaient tant de balles, qu'on ne savait s'il pouvait mourir. Et quand même on aurait dû mourir, qu'était-ce que cela ? La mort elle-même était si belle alors, si grande, si magnifique dans sa pourpre fumante ! Elle ressemblait si bien à l'espérance, elle fauchait de si verts épis qu'elle en était comme devenue jeune, et qu'on ne croyait plus à la vieillesse. Tous les berceaux de France étaient des boucliers ; tous les cercueils en étaient aussi ; il n'y avait vraiment plus de vieillards ; il n'y avait que des cadavres ou des demi-dieux.
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Cependant l'immortel empereur était un jour sur une colline à regarder sept peuples s'égorger ; comme il ne savait pas encore s'il serait le maître du monde ou seulement de la moitié, Azraël passa sur la route ; il l'effleura du bout de l'aile et le poussa dans l'Océan. Au bruit de sa chute, les vieilles croyances moribondes se redressèrent sur leurs lits de douleur, et, avançant leurs pattes crochues, toutes les royales araignées découpèrent l'Europe, et de la pourpre de César se firent un manteau d'Arlequin.
De même qu'un voyageur, tant qu'il est sur le chemin, court nuit et jour par la pluie et par le soleil, sans s'apercevoir de ses veilles ni des dangers ; mais dès qu'il est arrivé au milieu de sa famille et qu'il s'assoit devant le feu, il éprouve une lassitude sans bornes et peut à peine se traîner à son lit ; ainsi la France, veuve de César, sentit tout à coup sa blessure. Elle tomba en défaillance et s'endormit d'un si profond sommeil, que ses vieux rois, la croyant morte, l'enveloppèrent d'un linceul blanc. La vieille armée en cheveux gris rentra épuisée de fatigue, et les foyers des châteaux déserts se rallumèrent tristement.

Jeanne d' Arc, ce grand général qui n'était qu'une humble enfant..


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Jeanne d' Arc, ce grand général qui n'était qu'une humble enfant..

Nous avons fait le choix de ne retenir que des sources littéraires dans ce dossier consacré à Jeanne d'Arc.
Chacun pourra trouver facilement le récit historique sur  cette grande figure de l'Histoire de France, Notre modeste ambition est d'offrir un corpus documentaire rassemblant ce que nos grands écrivains ont écrit sur cette figure si tragique et si importante de la légende nationale
L'Histoire est moins belle que la légende, il y est question de politique et de trahison, d'une malheureuse livrée par les Bourguignons et abandonnée par celui qu'elle avait fait Roi. Il y est question de l'abomination, une de plus, de cette Sainte Eglise apostolique, romaine etmeurtière, qui condamna quelques années plus tard la mère de François Villon, à être ensevelie vivante, pour une fleur volée dans une corbeille. C'est ainsi que l'on punissait les pauvres dans ces temps maudits..

Léon Belhassen




Ce grand général n’était qu’une humble enfant
“Et ce grand général qui prit tout un royaume,
(et ce n’était pas rien, le royaume de France),
Dans le dernier climat et sous le dernier dôme,
N’aura pas plus vieilli que la jeune espérance. […]
Et ce grand général qui ramassait des villes
Comme on gaule des noix avec un grand épieu
N’était dans la rumeur et les guerres civiles
Qu’une humble enfant perdue en son amour de Dieu.” (
Ève)
Charles Péguy
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Chez Jeanne d’Arc, la parole drue et fine, toujours pleine de sens, suivait aussi l’esprit le plus vif, le plus aisé, qui ait jamais chanté sur l’arbre natal. Tout le contraire de la mystique hallucinée et somnambule qu’une certaine légende a voulu imposer.

L’un de ses traits distinctifs est de voir et de dire, en tout, les raisons brillantes des choses : la première valeur de ses discours et de ses actes tient au degré de lumineuse conscience qu’ils manifestent. Nul être humain n’aura mieux su ce qu’il faisait et pourquoi il le faisait. C’est le chef-d’œuvre de l’intelligence limpide.” (
Jeanne d’Arc, Louis XIV, Napoléon)
Charles Maurras
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D’un consentement universel, il n’est dans aucun temps, dans aucun pays, aussi pure héroïne, récit plus merveilleux. Nul ne pourra l’entendre que ses yeux ne s’emplissent de larmes. Ce que nous voulons montrer ici, c’est comme le sublime épisode de Jeanne d’Arc entre harmonieusement dans l’histoire de France, continue le passé et prépare l’avenir. […]

Du point de vue terrestre, du point de vue politique, ce qu’il y a d’incomparable chez Jeanne d’Arc, c’est la justesse du coup d’œil, le bon sens, la rectitude du jugement. Pour sauver la France, créée par ses rois, confondue avec eux, il fallait relever la royauté. Pour relever la royauté, il fallait rendre confiance et prestige à l’héritier qui finissait par perdre espoir, et peut-être doutait de sa naissance même. C’est pourquoi la première rencontre de Jeanne et de Charles VII est si émouvante. Le geste de Jeanne, reconnaissant le dauphin qui la met à l’épreuve, et tombant à ses genoux, est décisif. Le principe sauveur, la monarchie, est désigné. À l’homme, au roi légitime, la confiance en lui-même est rendue.” (
Histoire de France)
Bainville
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De tous les écrivains de France, Jeanne d’Arc est celui que j’admire le plus. Elle signait d’une croix, ne sachant point écrire. Mais je parle de son langage, et de ses brefs qui sont sublimes. Pourquoi écrit-elle, s’exprime-t-elle si bien ? C’est qu’elle pense bien, et que c’est la première vertu d’un style. Elle dit ce qu’elle veut dire, en quelques mots. Les réponses de son procès sont des chefs-d’œuvre. Ses réponses reflètent sa vie courte et sensationnelle, mieux que l’Histoire ne nous la raconte.” (Reines de la France)

Jean Cocteau
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« Comment vous parlaient vos voix ? lui avait-on demandé quand elle était vivante. – Elles me disaient : Va, fille de Dieu, va fille au grand cœur… » Ce pauvre cœur qui avait battu pour la France comme jamais cœur ne battit, on le retrouva dans les cendres, que le bourreau ne put ou n’osa ranimer. Et l’on décida de le jeter à la Seine, “afin que nul n’en fît des reliques”. […]

Alors naquit la légende.
Le cœur descend le fleuve. Voici le soir. Sur la mer, les saints et les fées de l’arbre-aux-fées de Domrémy l’attendent. Et à l’aube, toutes les fleurs marines remontent la Seine, dont les berges se couvrent de chardons bleus des sables, étoilés par les lys…

La légende n’est pas si fausse. Ce ne sont pas les fleurs marines que ces cendres ont ramenées vers nous, c’est l’image la plus pure et la plus émouvante de France. Ô Jeanne sans sépulcre et sans portrait, toi qui savais que le tombeau des héros est le cœur des vivants, peu importent tes vingt mille statues, sans compter celles des églises : à tout ce pour quoi la France fut aimée, tu as donné ton visage inconnu. Une fois de plus, les fleurs des siècles vont descendre… Au nom de tous ceux qui sont ou qui seront ici, qu’elles te saluent sur la mer, toi qui as donné au monde la seule figure de victoire qui soit une figure de pitié !” 
(Oraisons funèbres)
André Malraux
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La mort de Jeanne d'Arc racontée par Michelet et Jean Teulé
Quelles furent donc ses pensées, lorsqu'elle vit que vraiment il fallait mourir, lorsque, montée sur la charrette, elle s'en allait à travers une foule tremblante sous la garde de huit cents Anglais armés de lances et d'épées. Elle pleurait et se lamentait, n'accusant toutefois ni son roi ni ses saintes... Il ne lui échappait qu'un mot : « Ô Rouen, Rouen ! dois-je donc mourir ici ? »

Le terme du triste voyage était le Vieux-Marché, le marché au poisson. Trois échafauds avaient été dressés. Sur l'un était la chaire épiscopale et royale, le trône du cardinal d'Angleterre, parmi les sièges de ses prélats. Sur l'autre devaient figurer les personnages du lugubre drame, le prédicateur, les juges et le bailli, enfin la condamnée. On voyait à part un grand échafaud de plâtre, chargé et surchargé de bois ; on n'avait rien plaint au bûcher, il effrayait par sa hauteur. Ce n'était pas seulement pour rendre l'exécution plus solennelle ; il y avait une intention, c'était afin que, le bûcher étant si haut échafaudé, le bourreau n'y atteignît que par en bas, pour allumer seulement, qu'ainsi il ne pût abréger le supplice, ni expédier la patiente, comme il faisait des autres, leur faisant grâce de la flamme. Ici, il ne s'agissait pas de frauder la justice, de donner au feu un corps mort ; on voulait qu'elle fût bien réellement brûlée vive, que, placée au sommet de cette montagne de bois, et dominant le cercle des lances et des épées, elle pût être observée de toute la place. Lentement, longuement brûlée sous les yeux d'une foule curieuse, il y avait lieu de croire qu'à la fin elle laisserait surprendre quelque faiblesse, qu'il lui échapperait quelque chose qu'on pût donner pour un désaveu, tout au moins des mots confus qu'on pourrait interpréter, peut-être de basses prières, d'humiliants cris de grâce, comme d'une femme éperdue...

L'effroyable cérémonie commença par un sermon. Maître Nicolas Midy, une des lumières de l'Université de Paris, prêcha sur ce texte édifiant : « Quand un membre de l'Église est malade, toute l'Église est malade. » Cette pauvre Église ne pouvait guérir qu'en se coupant un membre. Il concluait par la formule : « Jehanne, allez en paix, l'Église ne peut plus te défendre. »
Alors le juge d'Église, l'évêque de Beauvais, l'exhorta bénignement à s'occuper de son âme et à se rappeler tous ses méfaits, pour s'exciter à la contrition. Les assesseurs avaient jugé qu'il était de droit de lui relire son abjuration ; l'évêque n'en fit rien. Il craignait des démentis, des réclamations. Mais la pauvre fille ne songeait guère à chicaner ainsi sa vie, elle avait bien d'autres pensées. Avant même qu'on ne l'eût exhortée à la contrition, elle s'était mise à genoux, invoquant Dieu, la Vierge, saint Michel et sainte Catherine, pardonnant à tous et demandant pardon, disant aux assistants : « Priez pour moi !.... » Elle requérait surtout les prêtres de dire chacun une messe pour son âme...
Tout cela de façon si dévote, si humble et si touchante, que l'émotion gagnant, personne ne peut plus se contenir ; l'évêque de Beauvais se mit à pleurer, celui de Boulogne sanglotait, et voilà que les Anglais eux-mêmes pleuraient et larmoyaient aussi, Winchester comme les autres.

Serait-ce dans ce moment d'attendrissement universel, de larmes, de contagieuse faiblesse, que l'infortunée, amollie et redevenue simple femme, aurait avoué qu'elle voyait bien qu'elle avait eu tort, qu'on l'avait trompée apparemment en lui promettant délivrance ? Nous n'en pouvons trop croire là-dessus le témoignage intéressé des Anglais. Toutefois, il faudrait bien peu connaître la nature humaine pour douter qu'ainsi trompée dans son espoir, elle n'ait vacillé dans sa foi... A-t-elle dit le mot, c'est chose incertaine ; j'affirme qu'elle l'a pensé.

Cependant les juges, un moment décontenancés, s'étaient remis et raffermis. L'évêque de Beauvais, s'essuyant les yeux, se mit à lire la condamnation. Il remémora à la coupable tous ses crimes, schisme, idolâtrie, invocation de démons, comment elle avait été admise à pénitence, et comment, « séduite par le Prince du mensonge, elle étoit retombée, ô douleur ! comme le chien qui retourne à son vomissement... Donc, nous prononçons que vous êtes un membre pourri, et comme tel, retranché de l'Église. Nous vous livrons à la puissance séculière, la priant toutefois de modérer son jugement, en vous évitant la mort et la mutilation des membres. »

Délaissée ainsi de l'Église, elle se remit en toute confiance à Dieu. Elle demanda la croix. Un Anglais lui passa une croix de bois, qu'il fit d'un bâton ; elle ne la reçut pas moins dévotement, elle la baisa et la mit, cette rude croix, sous ses vêtements et sur sa chair... Mais elle aurait voulu la croix de l'église, pour la tenir devant ses yeux jusqu'à la mort. Le bon huissier Massien et frère Isambart firent tant, qu'on la lui apporta de la paroisse Saint-Sauveur. Comme elle embrassait cette croix, et qu'Isambart l'encourageait, les Anglais commencèrent à trouver tout cela bien long ; il devait être au moins midi ; les soldats grondaient, les capitaines disaient « Comment ? prêtre, nous ferez-vous dîner ici ?.... » Alors, perdant patience et n'attendant pas l'ordre du bailli, qui seul pourtant avait autorité pour l'envoyer à la mort, ils firent monter deux sergents pour la tirer des mains des prêtres. Au pied du tribunal, elle fut saisie par les hommes d'armes, qui la traînèrent au bourreau, lui disant : « Fais ton office... » Cette furie de soldats fit horreur ; plusieurs des assistants, des juges même, s'enfuirent, pour n'en pas voir davantage.

Quand elle se trouva en bas dans la place, entre ces Anglais qui portaient les mains sur elle, la nature pâtit et la chair se troubla ; elle cria de nouveau : « Ô Rouen, tu seras donc ma dernière demeure !... » Elle n'en dit pas plus, et ne pécha pas par ses lèvres, dans ce moment même d'effroi et de trouble...

Elle n'accusa ni son roi ni ses Saintes. Mais parvenue au haut du bûcher, voyant cette grande ville, cette foule immobile et silencieuse, elle ne put s'empêcher de dire : « Ah ! Rouen, Rouen, j'ai grand'peur que tu n'aies à souffrir de ma mort ! » Celle qui avait sauvé le peuple et que le peuple abandonnait n'exprima en mourant (admirable douceur d'âme !) que de la compassion pour lui...

Elle fut liée sous l'écriteau infâme, mitrée d'une mitre où on lisait : « Hérétique, relapse, apostate, ydolastre »... Et alors le bourreau mit le feu... Elle le vit d'en haut et poussa un cri... Puis, comme le frère qui l'exhortait ne faisait pas attention à la flamme, elle eut peur pour lui, s'oubliant elle-même, et elle le fit descendre.

Ce qui prouve bien que jusque-là elle n'avait rien rétracté expressément, c'est que ce malheureux Cauchon fut obligé (sans doute par la haute volonté satanique qui présidait) à venir au pied du bûcher, obligé à affronter de près la face de sa victime, pour essayer d'en tirer quelque parole. Il n'en obtint qu'une, désespérante. Elle lui dit avec douceur ce qu'elle avait déjà dit : « Évêque, je meurs par vous... Si vous m'aviez mise aux prisons d'Église, ceci ne fût pas advenu. » On avait espéré sans doute que, se croyant abandonnée de son roi, elle l'accuserait enfin et parlerait contre lui. Elle le défendit encore : « Que j'aie bien fait, que j'aie mal fait, mon roi n'y est pour rien ; ce n'est pas lui qui m'a conseillée. »

Cependant la flamme montait... Au moment où elle toucha, la malheureuse frémit et demanda de l'eau bénite ; de l'eau, c'était apparemment le cri de la frayeur... Mais, se relevant aussitôt, elle ne nomma plus que Dieu, que ses anges et ses saintes. Elle leur rendit témoignage : « Oui, mes voix étaient de Dieu, mes voix ne m'ont pas trompée !.... » Que toute incertitude ait cessé dans les flammes, cela nous doit faire croire qu'elle accepta la mort pour la délivrance promise, qu'elle n'entendit plus le salut au sens judaïque et matériel, comme elle avait fait jusque-là, qu'elle vit clair enfin, et que, sortant des ombres, elle obtint ce qui lui manquait encore de lumière et de sainteté.

Cette grande parole est attestée par le témoin obligé et juré de la mort, par le dominicain qui monta avec elle sur le bûcher, qu'elle en fit descendre, mais qui d'en bas lui parlait, l'écoutait et lui tenait la croix.

Nous avons encore un autre témoin de cette mort sainte, un témoin bien grave, qui lui-même fut sans doute un saint. Cet homme, dont l'histoire doit conserver le nom, était le moine augustin déjà mentionné, frère Isambart de la Pierre ; dans le procès, il avait failli périr pour avoir conseillé la Pucelle, et néanmoins, quoique si bien désigné à la haine des Anglais, il voulut monter avec elle dans la charrette, lui fit venir la croix de la paroisse, l'assista parmi cette foule furieuse, et sur l'échafaud et au bûcher.

Vingt ans après, les deux vénérables religieux, simples moines, voués à la pauvreté et n'ayant rien à gagner ni à craindre en ce monde, déposent ce qu'on vient de lire : « Nous l'entendions, disent-ils, dans le feu, invoquer ses saintes, son archange ; elle répétait le nom du Sauveur... Enfin, laissant tomber sa tête, elle poussa un grand cri : "Jésus !" »

« Dix mille hommes pleuraient... » Quelques Anglais seuls riaient ou tâchaient de rire. Un d'eux, des plus furieux, avait juré de mettre un fagot au bûcher ; elle expirait au moment où il le mit, il se trouva mal ; ses camarades le menèrent à une taverne pour le faire boire et reprendre ses esprits ; mais il ne pouvait se remettre : « J'ai vu, disait-il hors de lui-même, j'ai vu de sa bouche, avec le dernier soupir, s'envoler une colombe. » D'autres avaient lu dans les flammes le mot qu'elle répétait : « Jésus ! » Le bourreau alla le soir trouver frère Isambart ; il était tout épouvanté ; il se confessa, mais il ne pouvait croire que Dieu lui pardonnât jamais... Un secrétaire du roi d'Angleterre disait tout haut en revenant : « Nous sommes perdus ; nous avons brûlé une sainte ! »

Jules Michelet, Jeanne d' Arc
Le corps carbonisé fumait encore entre les chaînes du poteau fixé sur un haut socle de pierre. Sa jambe droite s'était écroulée, provoquant un curieux déhanchement. Le buste penchait en avant. Les volutes ondulantes, s'élevant du crâne, lui faisaient une drôle de chevelure verticale. Un souffle d'air, comme une gifle, lui emporta une joue de cendre, découvrant largement sa mâchoire où les gencives flambaient. Dans la boîte crânienne, le cerveau s'était effondré. On le voyait bouillir par les orbites oculaires d'où il déborda et s'écoula en larmes de pensées blanches. Le bourreau lança un petit coup de pelle latéral dans les hanches. Le bassin se démantela entraînant la jambe gauche dans un nuage de poussière et de débris d'os. De la poitrine restée enchaînée au poteau, les côtes flottantes pendaient. Le cœur y glissa et tomba, encore rouge. On versa dessus de la poix et du soufre. Il s'enflamma. Un autre coup dans le sternum et le reste dégringola. Les bras filèrent entre les chaînes...
Deux hommes d'armes de l'escorte anglaise s'approchèrent en cotte de mailles recouverte d'une tunique peinte d'une grande croix écarlate sur la poitrine.
Jean Teulé, Je François Villon


Le corps carbonisé fumait encore entre les chaînes du poteau fixé sur un haut socle de pierre. Sa jambe droite s'était écroulée, provoquant un curieux déhanchement. Le buste penchait en avant. Les volutes ondulantes, s'élevant du crâne, lui faisaient une drôle de chevelure verticale. Un souffle d'air, comme une gifle, lui emporta une joue de cendre, découvrant largement sa mâchoire où les gencives flambaient. Dans la boîte crânienne, le cerveau s'était effondré. On le voyait bouillir par les orbites oculaires d'où il déborda et s'écoula en larmes de pensées blanches. Le bourreau lança un petit coup de pelle latéral dans les hanches. Le bassin se démantela entraînant la jambe gauche dans un nuage de poussière et de débris d'os. De la poitrine restée enchaînée au poteau, les côtes flottantes pendaient. Le cœur y glissa et tomba, encore rouge. On versa dessus de la poix et du soufre. Il s'enflamma. Un autre coup dans le sternum et le reste dégringola. Les bras filèrent entre les chaînes...
Deux hommes d'armes de l'escorte anglaise s'approchèrent en cotte de mailles recouverte d'une tunique peinte d'une grande croix écarlate sur la poitrine.
Jean Teulé, Je François Villon